28.8.15

VIE ET MORT D'UNE FLEUR

Dans la fraîcheur de la terre, à peine atténuée par quelques pâles rayons de soleil, la torpeur de l'hiver va cesser. A l’extrême pointe du rhizome de l'iris, une révolution se prépare. Les cellules commencent à se multiplier et à se spécialiser. Un triple panache feuilles ne va pas tarder à se développer. Bientôt vont apparaître les extrémités minuscules de ce trio. En quelques jours le sol va laisser s'extirper trois petits points d'abord d'un jaune un peu crémeux puis prenant peu à peu la couleur verte de la chlorophylle. C'est l'amorce de la future floraison. Les pointes de droite et de gauche vont grandir et chacune se diviser en panaches de trois pousses, trois feuilles qui vont rapidement grandir, tandis que la pousse du milieu, au début totalement semblable aux deux autres, va connaître un développement différent. Il va falloir attendre au moins trois semaines pour que l'on puisse faire le distinguo. Avec une vigueur incroyable l'iris, puisant dans les réserves de sucre de son rhizome et complétant son alimentation par les substances aspirées par ses racines, va grandir de près d'un centimètre par jour. Le mois de mars est maintenant au milieu de son cours. Le champ d'iris, jusque là triste et vide, prend peu à peu sa couleur de printemps. On sent chaque jour combien la nature a hâte de mener au jour sa mission de vie.

  L'iridophile impatient va chaque matin vérifier que le mystère du renouveau prépare la future floraison. Les deux triples panaches de feuilles grandissent presque à vue d’œil. Ils s'écartent un peu de la verticale qui était leur direction initiale et s'inclinent légèrement de manière à laisser assez de place entre eux pour que le troisième panache, celui du milieu, puisse prendre ses aises. Celui-ci marque son originalité en s'élevant bien droit. En passant délicatement la main sur la base de ce panache, on sent que gonfle une surépaisseur que l’œil mettra plusieurs jours à distinguer. C'est l'amorce de la tige florale et des premiers boutons floraux.

Tout va maintenant très vite. Les froides nuits du début d'avril ne freinent pas l'élan de la végétation. Mais attention au gel, néanmoins ! Il arrive que les fleurs hâtives, dont les tiges, tendres, apparaissent au centre des nouvelles pousses, ne résistent pas à une gelée matinale. Heureusement le 23 avril, le dragon glacé sera transpercé par la lance de St Georges et l'amateur d'iris verra ses craintes s'éloigner... Désormais la floraison est en route pour de bon.

 Les panaches latéraux vont cesser de croître, mais la hampe florale, emportée par son élan, va s'élever, rigide et majestueuse, au-dessus du feuillage. Les boutons s'enflent et prennent cette forme en quenouille caractéristique qui annonce l'éclosion prochaine des fleurs dont, peu à peu, on distingue les premières couleurs, celles des sépales, délicatement enroulés autour de ce que la fleur a de plus précieux, ses appareils de reproduction. On pressent que l'éclosion est proche, mais on ignore quand elle va se produire : il y a tout un tas de paramètres que l'on ne maîtrise absolument pas : humidité, chaleur, fraîcheur, maturité des organes sexuels... Brusquement, la fleur décide de se déployer : en un instant les trois sépales s'écartent et s'inclinent tandis que les pétales, encore un peu fripés et blottis les uns contre les autres se gonflent comme les ailes d'un nouveau papillon et mettent en place leur parasol protecteur au-dessus des stigmates et des étamines.

 La fleur est un formidable appareil sexuel. Est-ce ce qui fait sa séduction ? Est-ce le mystère qu'elle dissimule en même temps qu'elle l'expose ? Tout est fait pour la reproduction, et uniquement dans ce but. Les couleurs, vives, attirantes, incitent les insectes à la visite. Les barbes, leurre diabolique, prennent les bourdons par la patte pour les conduire au saint des saints, là où le nectar les attend pour les récompenser de leur intervention. En passant, sans qu'ils s'en doutent, ils vont se charger de pollen et, lorsqu'ils visiteront une autre fleur, la lame poisseuse du stigmate va s'incliner mécaniquement pour recevoir cette précieuse semence mâle que personne d'autre que ces gros bombyles n'est en mesure de lui apporter. La fécondation se déroule au vu de tout l'univers, mais la beauté qui l'entoure est tellement saisissante qu'elle en masque innocemment l'impudeur.

Sitôt la fécondation réalisée, la fleur n'a plus d'importance. Quand du pollen a été déposé sur la lèvre collante du stigmate, commence une véritable course entre les grains pour étendre leur tube jusqu’à l’ovule. Le voyage est long et plein d’embûches. Les noyaux de sperme (ils sont au nombre de deux) glissent à l’intérieur du tube et descendent vers l’ovule où ils vont pénétrer par un minuscule orifice et accomplir leur œuvre de vie. Un grain de pollen féconde un ovule et un seul. Il met environ huit heures pour se développer et parvenir au contact de celui-ci. Même si les grains de pollen ne sont déposés que sur une seule des trois lèvres stigmatiques ; ils féconderont néanmoins l’ensemble des ovules, dans les trois compartiments de l’ovaire : encore une merveille de la nature ! La fleur, quant à elle, peut maintenant s'effacer. Sa vie n'aura été que d'une durée minimale : deux, peut-être trois jours, au cours desquels elle a exhibé tous ses charmes. Mais que ceux-ci aient été couronnés de succès avec la réussite d'une fécondation, ou que rien ne ce soit passé, la fleur disparaîtra rapidement car pour que toutes les chances soient réunies en vue d'une reproduction garantie il faut que l'attirance des fleurs soit en permanence à son plus haut degré et, par conséquent, que la fraîcheur et l'attirance restent parfaites. Quand la nature estime que ces qualités ne sont plus au top, elle sacrifie la fleur. Celle-ci se fane et se rétracte en quelques heures. Elle replie ses sépales qui se fripent et s'amollissent tandis que les pétales fondent comme un soufflé qui a trop attendu. Ce qui était une splendeur n'est plus qu'une petite masse informe et gluante. Sous l'action des rayons du soleil toute l'humidité contenue va s'évaporer et ce qui était la fleur devient un tortillon sec et brun qui finira par tomber, un peu comme une sorte de cordon ombilical.

Il n'y a plus qu'un souvenir de fleur, en l'occurrence l'enveloppe chitineuse qui a contenu le bouton floral pendant le temps qu'il lui a fallu pour atteindre son plein développement. Celle-ci, de même que ses voisines qui ont tenu le même rôle, va rester en place jusqu'à ce que la hampe florale, désormais inutile, ne sèche à son tour et se ratatine. Tout cela viendra à disparaître en trois ou quatre semaines si on n'a pas pris auparavant la peine de couper ces éléments devenus inutiles et disgracieux. Parfois, souvent même, la hampe florale conserve un brin de vie. C'est quand elle porte une ou plusieurs capsules fécondées qui vont gonfler et mûrir tout au cours de l'été. Veut-on récolter les graines ? Ces hampes devront être protégées de manière à ne point être brisées au cours des deux mois de gestation. Sinon, point de grâce : le sécateur évitera que la plante ne s'épuise à fabriquer des graines inutiles. Il est préférable qu'elle affecte toute sa vigueur à reconstituer ses réserves de glucides et à développer un nouveau rhizome pour la floraison de l'année suivante. Rendez-vous est donné pour le prochain mois de mai !

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