15.4.17

UN PIONNIER EN SLOVAQUIE

Ce n'est qu'il y a quelques semaines que j'ai appris le décès de Ladislaw Muska. Je le savais mal portant depuis plusieurs années, et il avait été contraint, de ce fait, de cesser son activité d'hybrideur d'iris. Il fut l'un des premiers iridophiles d'Europe de l'Est avc qui j'ai correspondu et nos échanges épistolaires ont duré de nombreuses années, à cheval sur la fin de l'ère communiste dans son pays et le début de la période démocratique. En fait nous n'avons jamais abordé ensemble le côté politique de l'affaire ; nos conversations portaient exclusivement sur des questions botaniques et horticoles.

C'est que pour pratiquer l’hybridation d’iris de l’autre côté du Rideau de Fer, entre 1960 et 1990, il fallait beaucoup d’humilité et beaucoup d’enthousiasme. Ladislaw Muska ne manquait ni de l’une ni de l’autre. Au début des années 1960 il avait terminé des études de chimie organique et disposait donc d’un bon bagage en matière de génétique, de biologie et de botanique. C’est avec cela qu’il s’est lancé dans l’hybridation des iris, une plante connue et appréciée de toujours dans sa Slovaquie natale. Son travail s'est immédiatement révélé méritoire : effectué dans des conditions matérielles élémentaires, avec presque aucun cultivar en provenance de l'Ouest, dans l'espace retreint d'un petit jardin populaire de banlieue, il a réussi à obtenir des iris très présentables, au point que le fameux jardin de Pruhonice, à Prague, s'en est procuré un certain nombre pour les exposer dans ses collections. Milan Blazek écrit lui-même : « Ils présentaient un réel intérêt pour la production de nos propres variétés. Parmi celles que nous avions à Pruhonice, nous en avions remarqué une vingtaine, notamment 'Carrara Lace' (1995), 'Alessandra' (1996) et 'Funny Bird' (1996), qui avaient une qualité de niveau international correspondant à ce qui se faisait de bien dans les années 1990."

Ces bons résultats dénotaient un réel talent car il n’était pas facile de se procurer les variétés américaines de l’époque. Aussi travaillait-on à partir de variétés anciennes, acquises par la débrouille et le commerce parallèle. La démarche était par ailleurs intuitive et sentimentale : pas de programme précis, pas d’autre but que celui d’obtenir de nouveaux iris, les plus beaux possibles, tout simplement.

 Ladislav Muska a appelé la première période de sa vie d’hybrideur, l’ « étape Babbling Brook ». parce que cette variété était la plus belle et parmi les plus récentes de celles dont il disposait. Cependant assez vite il se rendit compte que son travail n'était pas au niveau de celui de ses confrères de l'Ouest, aussi renouvela-t-il son matériel génétique et entama-t-il sa deuxième période, celle qu'il a baptisée la période « Laced Cotton », avec des parents potentiels plus modernes, tels que 'Beverly Sills' (Hager 1979 – DM 1985), 'Bride’s Halo' (Mohr 1973 – DM 1978), 'Kilt Lilt' (Gibson 1970 – DM 1976), 'Mystique' (Ghio 1975 – DM 1980), 'Victoria Falls' (Schreiner 1977 – DM 1984) et quelques autres d'aussi bonne facture. Les obtentions de cette époque ressemblaient déjà à ce qui s’était fait aux Etats-Unis et ailleurs, dans les années 1980. Celle dont L. Muska était le plus fier se nomme 'Don Epifano' (1989), de Laced Cotton X Pink Angel, qui est un bicolore noisette et pervenche avec un large liseré vanille autour des sépales, et qui est parfaitement ondulé et frisé. C'est de cette période dont font partie les variétés citées ci-dessus par Milan Blazek. Elles ont dix ans de retard par rapport à leurs équivalents américains, mais démontrent qu’avec les mêmes matériaux on arrive aux mêmes résultats.

La troisième époque a débuté vers la fin des années 1980. Muska l’a appelée sa période « Queen in Calico – Sky Hooks - Ringo » car elle s’appuie essentiellement sur ces trois variétés dans lesquelles il a trouvé de quoi alimenter son projet d’une ligne « plicata space age ». Ses autres géniteurs s’appelaient 'Aphrodisiac' (Schreiner 1986), 'Dusky Challenger' (Schreiner 1986 – DM 1992), 'Edith Wolford' (Hager 1986 – DM 1993), et de nombreux autres car il était devenu facile de se procurer des variétés modernes. Cette troisième époque, celle que Muska nommait celle du « triangle magique des iris » a vu naître des variétés très modernes qui ont nom, entre autres 'Calicoball' (1995), 'Ri-Sampei' (1996), 'Xochipili' (1995), et, surtout, 'Hellada' (1996), qui a fait connaître son obtenteur aux Etats-Unis.

A ce moment Ladislaw Muska (que ses amis appellent « Lako ») a atteint une maturité qui lui permet d’éviter les emballements des années 1980/90 pendant lesquelles il a sûrement enregistré trop de nouvelles variétés. Avec son compatriote Anton Mego, et les obtenteurs tchèques comme Zdenek Seidl, Pavel Nejedlo ou Jiri Dudek, il maîtrise mieux les problèmes de sélection et d’évaluation de son travail. Les variétés enregistrées alors sont à cet égard remarquables. On peut parler de 'Dreaming Clown' (1999) – utilisé par Keith Keppel et Barry Blyth, rien que ça -, 'Golden Fasan' (1999)', 'Zuzana' (2000) ou 'Snorri' (2002), remarquable rose à éperons mauves, qui a reçu le prix de la variété la plus originale à Florence en 99. C'est aussi le commencement de la fin, car il n'y a pas eu de cinquième période.

En effet peu après la santé de Ladislaw s'est déteriorée. Un jour il m'a annoncé qu'une première crise cardiaque l'obligeait à renoncer à son activité au jardin... Je n'ai plus entendu parler de lui, mais sa fille Miriam, dans un hommage posthume paru dans le bulletin de la MEIS sous la signature de Zdenek Seidl, raconte qu'il a peu à peu perdu goût à tout et qu'en quelque sorte il s'est laissé mourir... Il faut dire qu'à 55 ans il avait été atteint d'un cancer de l'estomac dont il avait guéri mais à cause duquel il avait été réformé ce qui l'avait fortement éprouvé.

Je me suis renseigné sur le sort des iris de la collection Muska, notamment auprès d'Anton Mego. Personne n'a pu me dire précisément si elle avait été conservée. Mais il est probable que, logée dans plusieurs jardins ouvriers, lorsque ces lopins ont été redistribués, elle a disparu corps et bien. Sans doute ne reste-t-il plus que les variétés expédiées un peu partout dans le monde pendant le temps où Ladislaw commercialisait ses obtentions. C'est a mon avis une fin bien triste pour le travail d'un homme qui, sans être un génie, a été un pionnier dans son pays et sa région et a sérieusement contribué à l'expansion du monde des iris.

Iconographie : 


'Alessandra' 


'Don Epifano' 


'Hellada' 


'Snorri'

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