16.12.17

A TABLE !

Non, il ne s'agit pas de vous inviter à manger de l'iris. C'est une plante toxique et, d'ailleurs, sa saveur terriblement amère ne pousse pas à la consommation. Mais c'est le moment de parler de ces petits iris qu'en France on appelle « Iris de Table » et qu'ailleurs on nomme maintenant MTB (Miniature Tall Bearded). Pourquoi est-ce le moment ? Parce que depuis une dizaine d'années ils rencontrent un succès croissant parmi les amateurs d'iris, ce qui a valu à cette catégorie apparue en1929, après un long purgatoire, de se hisser au plus haut niveau de la célébrité. 'Bumblebee Delite' (Norrick, 1985) s'est distingué à deux reprises : en 1991, en remportant ce qui fut l'ancêtre de l'actuelle Williamson-White Medal, et en remettant ça en 1993 avec la « vrai » W-W Medal (plus haute récompense pour un MTB). En 2014 la variété 'Dividing Line' (Bunnell, 2005) a reçu l'USDM (Médaille de Dykes américaine), après un parcours des honneurs sans faute : 2012 = troisième pour la DM ; 2013 = deuxième. 2014 fut une année exceptionnelle pour cette catégorie : outre le triomphe de 'Dividing Line', La Walther Cup est revenue à un autre MTB, 'Holiday in Mexico' (Probst, 2011). Du jamais vu. 

Du jamais vu parce que les MTB ont eu beaucoup de mal à trouver leur espace dans le cœur des amoureux des iris. Ce n'est qu'en 1966 qu'ils ont obtenu de constituer une liste dans les documents de l'AIS. Encore en 1996, lors de la publication de son excellent livre « L'Iris, une fleur royale » Richard Cayeux ne leur consacre qu'une demi-page, ne leur offrant de ce fait qu'une place anecdotique. Et dix ans plus tard, avec 14 enregistrements seulement dans l'année, les MTB ne représentaient que 1,2 % des variétés enregistrées.

Cette catégorie si discrète mérite tout de même qu'on fasse un peu mieux connaissance avec elle.

Ce sont des rejetons malingres de grands iris qui ont attiré l'attention d'Ethel Peckham, dans les rangs de la pépinière Williamson, dans l'Indiana, en 1929. Cette dame s'est dit : « Ces avortons, vais-je les mettre au compost ? Après tout, ils pourraient trouver leur place dans les petits jardins de nos villes. Il suffit de ne retenir que les plus robustes et les plus jolis. En plus, ils conviendraient remarquablement pour faire des bouquets ! » C'est ainsi que, mettant son idée à exécution, elle a retenu quelques plantes pour en faire ce qu'elle a appelé des « Iris de Table ». Les débuts de cette nouvelle catégorie ont été on ne peut plus confidentiels. En 1946 il n'y avait encore que sept variétés enregistrées - 'Pewee' (EB Williamson, 1933)! L'expansion était limitée par le fait qu'on n'avait aucune certitude sur les pedigrees. Puisqu'il s'agissait de plantes destinées dès le départ à la destruction, les documents d'identification n'avaient pas été conservés. Cependant il semble acquis qu'elles provenaient d'ancêtres diploïdes, en particulier des petites espèces I. variegata et I. cengialtii. Ce qui expliquerait leur taille réduite. Il faut dire aussi, pour expliquer le manque d'enthousiasme des hybrideurs pour cette catégorie, qu'à l'époque ils étaient entièrement tournés vers les grands iris, et les gros progrès induits par l'apparition de la tétraploïdie. Il a fallu attendre les années 1950 pour voir le vent tourner et les MTB amorcer un réel développement. A partir de 1955 des normes précises ont été arrêtées, définissant une fois pour toutes ce qu'étaient les MTB. Ils doivent donc maintenant mesurer en hauteur entre 41 et 70 cm., mais de préférence moins de 65 cm, pour rester en proportion avec des fleurs de 9 cm. ou moins. Les tiges florales, flexueuses, bien branchées, minces et solides, doivent s'élever d'un tiers au-dessus du feuillage, lequel doit être abondant et bien vert.

Ces règles établies, les hybrideurs (américains, à l'époque) étaient mieux outillés pour se lancer dans la production de MTB. Mais la tâche était rude et peu gratifiante. En particulier parce que les premières variétés obtenues ne produisaient guère de graines et que celles-ci germaient mal et lentement. Il a donc fallu un certain temps pour que se constitue un panel de géniteurs fiables et intéressants au plan horticole (fleurs élégantes, coloris agréables, culture facile...) Jean G. Witt, dans « The World of Irises » explique bien quels ont été les chemins suivis par les hybrideurs dans leurs efforts pour améliorer les MTB :

- utilisation d'iris de bordure de petite taille, pour les progrès apportés par la tétraploïdie (malgré un épaississement des tiges, et des feuilles trop fortes) ;
- ajout de gènes d'I. aphylla, pour des couleurs plus vives et un allongement de la période de floraison ; croisement avec des SDB, pour des plantes moins hautes, aux tiges plus fines, et des fleurs plus nombreuses ; croisements avec des iris de bordure diploïdes, pour des couleurs encore plus vives (mais au risque de perdre en fertilité) ;
- utilisation de nombreuses espèces de petite taille, pour plus de vigueur et l’apparition de nouveaux coloris...

Tout cela a pris du temps, et comme l'intérêt des jardiniers pour cette catégorie n'était pas évident, le nombre des nouveaux MTB est longtemps resté très faible. Dans les années 2000, leur nombre n'a jamais été élevé : 12 en 2000 ; 14 en 2001 ; 21 en 2002 ; 10 en 2003 ; 23 en 2004 ; 17 en 2005 ; 14 en 2006 ; 14 en 2007 ; 13 en 2008 ; 15 en 2009 ! Les MTB ont donc eu une enfance et une adolescence difficiles. Et ce n'est que dans les dernières années qu'ils ont obtenu la reconnaissance que leurs qualités botaniques et horticoles leur laissait espérer. C'est aux Etats-Unis qu'ils se sont développé et où ils ont réussi leur percée. Des obtenteurs comme Ben Hager, Clarence Mahan, Keith Keppel, ou Terry Aitken, plus connus pour leurs grands iris, se sont amusés à les perfectionner, mais ils ont surtout été développés par de véritables spécialistes comme Walter Welch, Marie-Louise Dundermann, Kenneth Fischer, Jack Norrick, Lynda Miller, Riley Probst ou Charles Bunnell. Des variétés comme 'Apricot Drops' (Aitken, 1995), 'Bangles' (Miller, 1993) , 'Bumblebee Deelite' (Norrick, 1995), 'Frosted Velvet' (Fischer, 1988), 'Hot News' (Markham, 2009), 'New Idea' (Hager, 1970), 'Persona' (Keppel, 2004), 'Petit Louvois' (Mahan, 2004) témoignent de leur travail.

A noter que les obtenteurs européens se sont laissé tenter par l'hybridation des iris de table dès le début des années 1990. En Grande-Bretagne, avec Olga Wells, mais surtout en France avec Lawrence Ransom – 'Psy' (1994)- et Jean Peyrard – 'Petite Celia' (2005) - . Plus récemment, c'est Loïc Tasquier, français installé aux Pays-Bas, qui a pris le relais et qui propose des variétés originales et même franchement nouvelles comme son 'Quagga' (2010) et ses descendants.

Les MTB ont-ils vraiment un avenir dans nos jardins ? Oui si l'on tient compte de leur intérêt pour leur taille modeste et peu encombrante, leurs touffes abondantes, leurs fleurs petites et sympathiques. Mais il faut constater que malgré cela leur diffusion est toujours aussi modeste près de 90 ans après leur apparition. Alors, à défaut de les mettre sur votre table, mettez des MTB dans votre jardin.

Iconographie  


'Pewee' (EB Williamson, 1933) 


'Bumblebee Deelite' (Norrick, 1995) 


'Frosted Velvet' (Fischer, 1988) 


'Petit Louvois' (Mahan, 2004) 


'Psy' (Ransom, 1994) 


'Petite Celia' (Peyrard, 2005) 


'Quagga' (Tasquier, 2010)

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