31.5.18

JOYCE TERRY ET COMPAGNIE

Ce qu'on appelle le modèle Joyce Terry correspond à un iris dont les pétales sont d'un ton de jaune et dont les sépales, d'un blanc pur en leur centre, sont bordés d'un net liseré du jaune des pétales. Les barbes sont le plus souvent mandarine, mais il en est de jaunes. C'est un modèle qui pose bien des questions aux amateurs de classification. Dans la plupart des catalogues il est classé parmi les iris plicata, c'est peut-être une commodité, mais techniquement c'est une erreur. Un plicata est un iris dont le fond blanc ou teinté de pigments caroténoïdes clairs (jaune, abricot, rose...) est plus ou moins recouvert de pigments anthocyaniques (largement sur les pétales, au minimum concentrés sur les bords des sépales). Mais de pigments anthocyaniques (bleu, violet...) il n'en est point sur le modèle Joyce Terry. Disons que c'est un modèle original dont l'origine reste mal connue, qui, à l’œil, se rapproche des plicatas.

 Pour qu'il devienne un modèle de référence, il fallait que 'Joyce Terry' (Muhlestein, 1974) dispose de qualités exceptionnelles. C'est évidemment le cas. Il fallait aussi que tous les amis des iris sachent de quoi on parle et pour cela il fallait une plante largement répandue à travers le monde. C'est aussi le cas. Cependant d'autres variétés obtenues dans les mêmes moments présentent les mêmes caractéristiques et si l'une d'entre elles n'a pas été choisie c'est qu'aucune n'a atteint la même notoriété.

En fait, comme l'écrit Keith Keppel dans « The World of Irises », l'apparition de ce modèle relève du hasard : « Des sous-produits du développement des iris à barbes mandarine ont été un bonus inespéré. Des jaunes sont apparus parmi les produits de croisement réalisés en vue d'obtenir des iris roses, et les hybrideurs furent étonnés et ravis de leur qualité. Ces jaunes avaient un velouté, un éclat, un niveau de dentelure rarement découverts chez les jaunes conventionnels. » Mais en l'occurrence il est question d'iris jaunes et non pas d'iris jaune et blanc. C'est David Hall qui, en 1951, en enregistrant 'Palomino', a involontairement provoqué l'apparition de ce modèle. Ce 'Palomino' n'est pas à proprement parlé un jaune et blanc (il est décrit comme « pétales rose clair et sépales crémeux entouré d'orange cuivré ») mais il donne déjà un aperçu de ce qui allait se développer parmi ses très nombreux descendants. Et « The World of Irises » précise : « 'Golden Garland' de Hall, issu d'un semis croisé avec le pollen de 'Palomino', fut la première introduction de la lignée des iris à barbes mandarine ayant des pétales jaunes et des sépales blancs bordés de jaune ( ...) » Mais Si 'Golden Garland' (Hall, 1956) fut le premier de la liste, d'autres descendants de 'Palomino' ont donné des résultats analogues, par exemple 'Valimar' '(Hamblen, 1956). On peut donc dire que l'origine du modèle se situe chez 'Palomino'.

 Il y a cependant deux variétés de base dont on est embarrassé quand il s'agit de définir leur propre origine. Il s'agit de 'Reta Fry' (Terrell, 1964) et de 'Debby Rairdon' (Kuntz, 1964). Du premier on ne sait absolument rien car son pedigree n'est indiqué nulle part. Quant au second, il est déclaré né de parents inconnus. On peut malgré cela, et sans trop s'avancer, penser qu'ils proviennent l'un et l'autre de 'Palomino'...

 A partir de 'Golden Garland' on a obtenu 'Craftsman' (Knopf, 1963), mais la descendance de 'Valimar' et de ses frères de semis dans ce modèle est bien plus importante. On y trouve notamment 'May Melody' (Hamblen, 1964) et 'Launching Pad' (Knopf, 1966). 'May Melody' est le parent de 'Charmaine' (Hamblen, 1966) qui est lui-même à l'origine de 'Genesis' (Tompkins, 1977) et... de 'Joyce Terry' – qui descend aussi de 'Launching Pad ! - . On y est !

 'Launching Pad', justement, se retrouve chez 'Charm Bracelet' (Schreiner, 1984) et plus encore chez 'First Interstate' (Schreiner, 1990) qui conduit à 'Happy Again' (Schreiner, 2002)...

 'Debby Rairdon' a engendré 'Lemon Crown' ( O. Brown, 1976) et le français 'Opera Bouffe' (Ransom, 1991). 'Reta Fry' a donné 'Fashion Rings' (Hamner , 1976), 'Twickenham' (van Valkenburgh, 1974) et surtout 'Peace Offering' (Ghio, 1971), variété fétiche de son obtenteur. 'Peace Offering' est un des parents de 'Bicentennial' (Ghio, 1975), joli exemple du modèle.

Une autre, et importante, source de variétés du modèle Joyce Terry se nomme 'Tinsel Town' (Tompkins, 1966). On lui doit entre autres 'Genesis' dont on a déjà parlé, 'Eastertime' (Schreiner, 1980) et 'Limelighter' (Schreiner, 1988).

'Joyce Terry' lui-même n'est pas à l'origine de nombreuses variétés qui lui ressemblent. Cela n'est pas étonnant puisque l'on sait que l'apparition du modèle résulte le plus souvent d'une altération du coloris jaune unicolore. Son descendant le plus intéressant pourrait-être 'Sunkiss' (Gartman, 1993). On verra un peu plus loin pourquoi.

 Revenons aux années 1970 et à 'Lemon Crest' (Rudolph, 1975) et son compagnon de catalogue 'Crystal Dawn' (Hamner 1975) qui sont deux autres points de départ pour des variétés aux pétales jaunes et aux sépales blancs cernés de jaune. Le premier a engendré 'Golden Surrey' (Rudolph, 1984) – et, par lui, 'Lemonella' (Hedgecock, 2008) - , le second 'Critic's Choice' (Gartman, 1988). 'Gold Ring' (Gaulter, 1977) et 'Lemon Lyric' (D. Meek, 1977) sont d'autres exemples de cette fin de décennie.

A partir des années 1980 il devient difficile voir impossible de trouver des liens de filiation entre les nombreuses variétés du modèle Joyce Terry qui apparaissent au fil des ans, sauf dans un cas, et non des moindres, celui qui unit 'Joyce Terry' lui-même et 'That's All Folks' (Maryott, 2004) vainqueur de la Dykes Medal en 2013.Et encore s'agit-il d'une filiation non vérifiée ! 'That's All Folks' apprécié de toute part, dispose d'un frère de semis baptisé 'Pure and Simple' (Maryott, 2003), qui lui ressemble diablement, mais qui n'a pas eu le même parcours exemplaire. Personnellement 'Pure and Simple' me plait encore plus que son cadet, en raison de la forme parfaite de sa fleur. Mais passons... Il est dommage que l'on ne sache pas exactement de qui descendent les deux frères. Leur père est en effet un semis Ghio numéroté U94-1A, qualifié de « inconnu ». Cela interrompt immédiatement toute recherche généalogique certaine. Je me risque cependant à émettre une hypothèse qui, pour être envisageable, ne repose néanmoins sur aucune certitude. Voici : On en revient au cas de 'Sunkiss' (Lily Gartman, 1993) évoqué plus haut. Lily Gartman, hybrideuse de talent disparue prématurément, travaillait en collaboration avec Joë Ghio et celui-ci a, d'ailleurs, enregistré plusieurs des variétés obtenues par celle-là, dont le dénommé 'Sunkiss'. On peut par conséquent imaginer que c'est ce 'Sunkiss' qui se cache derrière le semis U94-1A, qui ferait le lien entre 'Joyce Terry' et 'That's All Folks' !

 Presque chaque année il y a une variété nouvelle qui présente les traits, plus ou moins accentués, de 'Joyce Terry' et il serait pénible de parler de tous. On se contentera, dans le feuilleton qui commencera la semaine prochaine, de réunir les photos des plus réussies, avec leur pedigree pour être complet. A noter que les européens ne font pas preuve de beaucoup d'appétence pour ce modèle. Il y a des mystères, comme ça !

Ainsi se termine le portrait d'un modèle de fleur qui recueille toujours un certain succès presque soixante-dix ans après son apparition. Mais c'est un portrait qui a été difficile à réaliser. Parce qu'il ne correspond pas à un événement génétique connu et prévisible, mais plutôt à un incident fortuit, occasionnel par définition. Quoi qu'il en soit il nous gratifie de fleurs plaisantes dont il est probable qu'elles continueront longtemps à nous enchanter.

 Iconographie : 


 'Joyce Terry' 


'Golden Garland' 


'May Melody' 


'Launching Pad' 

 D'autres images sont à venir dans le feuilleton « Joyce Terry et Compagnie » publié à partir de la semaine prochaine.

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