5.10.18

QU'EST-CE QU'UN COLLECTIONNEUR ?

L’essayiste Cécile Guilbert écrit dans une chronique du journal La Croix : «Si je vous raconte cette histoire, ce n'est pas pour vous parler de labeur mais de passion : la passion innocente, maniaque, obstinée et jamais découragée qui appartient au monde d'affects si singuliers de ce qu'on nomme un collectionneur. » Elle parle précisément des collectionneurs d'art, de ceux qui amassent des tableaux de valeur inestimable dans des sortes de bunkers où ils sont les seuls à pénétrer. Mais son portrait s'adresse également à cet autre type de collectionneur « grave comme un enfant qui joue, entièrement requis par sa marotte, sa toquade – qu'on la nomme lubie rampante ou ver-coquin, manie butinante ou frivole, califourchon ou turlutaine - » dont elle trouve qu'il « réjouit par sa folie douce, son dada badin » et vers lequel évidemment se tourne sa sympathie.

Ce collectionneur, cela peut être celui qui accumule dans son jardin des centaines voire des milliers de variétés d'iris de tous âges et de toutes provenances, comme j'en connais quelques uns et dont je fais sans doute partie.

A la différence de celui qui collectionne les œuvres d'art hors de prix, l'amateur d'iris ne met pas des sommes considérables dans sa passion. Des gens aux revenus modestes peuvent donc devenir collectionneurs d'iris. Évacuer la question d'argent supprime du coup la peur du voleur et la nécessité d'une protection lourde de la collection. Elle élimine au passage le comportement jaloux et secret qui caractérise le collectionneur d'objets de grande valeur pour qui ces objets constituent un domaine réservé à une contemplation solitaire, voire même à l'absence de contemplation, l'intérêt de l'affaire étant de savoir qu'on dispose d'une fortune pour soi tout seul. Au contraire, l'amateur d'iris prend autant de plaisir à admirer sa collection qu'à en faire profiter les autres : son jardin, à la saison, est généralement ouvert et les visites sont autant d'occasions de jouir des superbes variétés fleuries.

Parodiant La Bruyère et ses fameux « Caractères », on peut décrire ainsi l'amateur-collectionneur d'iris : Il a un jardin souvent autour de sa demeure, mais il est parfois tenu de parcourir maintes lieues pour s'y rendre. Il s'y précipite dès le lever du soleil, et il n'est de retour qu'à son coucher. Vous le voyez immobile au milieu de ses iris, penché devant 'Cielo Alto', ce bleu si doux qui le fascine : il effleure un sépale, le caresse délicatement, il en aspire le parfum doux et sucré, les yeux fermés pour n'en perdre aucun effluve. Il sort de sa poche un petit carnet où il note quelque détail. Il s'approche de 'Black is Black', puis il passe à 'Rusty Taylor', cette éclatante rareté qu'il a achetée aux antipodes, et n'a qu'un pas à faire pour atteindre 'Zone d'Ombre' devant lequel il s'accroupit pour en examiner les barbes dorées. 'Magical Encounter' est à côté, tendrement rose, poudré comme une vieille marquise ; il en compte les boutons, note cette information sur son petit carnet, et s'agenouille devant la tige pour en mesurer commodément la hauteur. Il revient devant 'Zone d'Ombre', s'arrête longuement, apprécie le velouté des pétales, leurs vaporeuses ondulations, leur tendre teinte mauve. Il lui arrive alors de laisser passer l'heure de retrouver l'en-cas qui l'attend dans un cabas. La pluie, le soleil n'interrompent pas sa contemplation. Mais il sait déjà quelles plantes il va acquérir cet année pour accroître sa collection. Il attend les rhizomes qui viennent de Russie, de Pologne, d'Italie, d'Australie...Il a dépensé pour eux plus qu'il serait raisonnable, mais il ne regrette rien si ce n'est de n'avoir point passé commande en Ukraine et en Slovaquie où il s'est entiché de variétés nouvelles qu'il ne pourra admirer que dans une année, voire plus car ces rares merveilles peuvent se montrer capricieuses et prendre leur temps pour s'installer et se décider à fleurir.  Dans ce genre de personnage j'ai connu un ancien coiffeur, demeurant dans une petite ville d'Occitanie, qui prenait chaque matin sa voiture pour parcourir la vingtaine de kilomètres qui le séparaient de son iriseraie où il passait effectivement sa journée, dans un cadre charmant.

Un autre trait de caractère du collectionneur d'iris, c'est sa générosité. Rien ne lui fait plus plaisir que de donner à ses amis et connaissances une quantité de rhizomes, dès que la croissance des touffes lui en permet la division. Le même collectionneur tarn-et garonnais auquel je faisais allusion tout à l'heure m'a ainsi donné un grand nombres de variétés rarissimes, qui ont fait longtemps mon bonheur ! Cette générosité est favorisée par deux choses :
- les iris poussent et se multiplient à foison ; il faut de toute manière retirer le croît quand celui-ci risque d'entraver la floraison ;
- la générosité n'est pas à sens unique et le collectionneur à qui l'on fait un don ne manque pas de renvoyer l'ascenseur avec l'envoi d'un colis au moins aussi volumineux.

Collectionner les iris, c'est donc quelque chose de bon. Bon pour la santé de celui qui collectionne et qui passe de longues heures au grand air, bon pour l'amitié et les relations sociales ; bon pour l'horticulture et la diffusion des plantes. Et tout ceci ne s'applique pas seulement aux iris. Les collectionneurs de roses, d'hémérocalles, de narcisses et de plein d'autres plantes ont les mêmes comportements.

Alors, amis collectionneurs, ne vous offensez pas si votre entourage vous prend parfois pour de doux dingues. Cette dinguerie vous est salutaire et, à sa petite échelle, elle est utile pour toute l'humanité. Cécile Guilbert a tout à fait raison de regarder les vrais collectionneurs avec tendresse et admiration.

Iconographie :

'Cielo Alto'

'Black is Black'

'Rusty Taylor'

'Magical Encounter'

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