4.1.19

UNE HISTOIRE DE LIGNÉES

Quand j'étais enfant (je vous parle d'un temps que les moins de 70 ans ne peuvent pas connaître !), lorsqu'une chanson avait du succès plusieurs chanteurs la mettaient à leur répertoire. C'était un signe de notoriété pour le ou les auteurs, et pour les interprètes une garantie de bonnes ventes. Peu a peu une situation inverse s'est installée. De nos jours les compositeurs travaillent pour un chanteur. Ils lui écrivent des chansons, rien que pour lui ; elles ne seront reprises par d'autres que pour des occasions exceptionnelles. C'est exactement l'inverse qui s'est produit en matière d'iris.

Dans les premiers temps, et jusque dans les années 1960, chaque hybrideur exploitait et développait ses propres lignées, soit pour un coloris déterminé, soit pour un modèle particulier. Cela a grandement facilité le travail des auteurs de « The World of Irises », Keith Keppel et Melba Hamblen, quand il s'est agi de raconter la genèse des iris, notamment pour le gros chapitre 4, consacré aux « Tall Bearded », les grands iris. On peut prendre pour exemple le cas des iris roses à barbes orange. Après les débuts aléatoires des années 1920, le modèle prend véritablement corps avec 'Seashell' (Loomis, 1940). Puis vint le travail colossal et persévérant de David Hall (17 ans de croisements avant d'obtenir un résultat présentable) et l'obtention de 'Vanity Fair' (1950), 'Happy Birthday' (1952) et de nombreux autres. Autre lignée, celle de Orville Fay, avec au départ 'Pink Cameo' (1946), puis 'Mary Randall (1951) et quelques autres. Et n'oublions pas Tell Muhlestein avec 'June Meredith' (1953), 'Pink Fulfillment' (1954), 'Pink Enchantment' (1954) et d'autres iris roses remarquables. Après cela on assiste au mélange des lignées, d'abord avec Nate Rudolph ('Pink Taffeta' (1965), 'Pink Sleigh' (1970) ;) puis avec George Shoop ('One Desire' (1960) ), Opal Brown ('Queen of Hearts' (1973) ) et bien d'autres.

 Ainsi, peu à peu les lignées individuelles ont été mélangées et les caractéristiques des unes et des autres ont été alliées, de sorte qu'aujourd'hui les variétés qui apparaissent ont toutes les mêmes origines. Il arrive encore, heureusement, qu'un obtenteur mette au point un modèle ou un coloris nouveau. Mais à peine ces nouveautés sont-elles sur le marché que chacun s'en empare et les exploite à son profit. Ce fut le cas pour les amoenas bleus inversés, c'est maintenant celui des distallatas, ce sera très certainement celui des variétés dotées du signal semblable à celui des iris arils, modèle qui n'a pas encore de nom mais qui déjà se répand...

 Dans le système des lignées chaque hybrideur mettait sa fierté à améliorer ce qu'il avait amorcé, et l'émulation consistait à faire progresser parallèlement des lignées différentes. C'était un système où les différents créateurs mettaient leur talent à essayer de faire mieux – par des voies différentes – que le confrère travaillant sur le même sujet. Et cette saine concurrence a permis à l'iridophilie de progresser rapidement. De nos jours le défi n'est pas tant de faire progresser tel ou tel modèle que de montrer au monde des iris que l'on est capable de faire la même chose que le voisin, et si il y a une amélioration elle se fait en utilisant le matériel génétique préparé par un ou plusieurs autres. Quand Keppel fait avancer le modèle luminata, comme il l'a fait avec 'Montmartre', il ne faut pas attendre longtemps pour voir naître d'autres 'Montmartre', à peine retouchés. Ce phénomène se reproduit chaque fois qu'un hybrideur obtient une variété originale ou un nouveau modèle. Il ne faudra pas des années pour que sa découverte soit recopiée par un ou plusieurs confrères.

 L'obtention de ces sortes de copies est rendu possible par le fait que de nos jours, dans un même semis, apparaissent souvent de nombreux iris de grande valeur, et que le choix de parents proches de la variété que l'on veut imiter se trouve facilité. Jadis dans un même croisement il était rare de découvrir plus d'une plante digne d'être sauvegardée, alors que l'on note maintenant souvent quatre ou cinq, voire plus, frères de semis sélectionnés. Le travail des hybrideurs est devenu beaucoup moins ingrat et des opportunités bien plus nombreuses s'offrent à eux.

 L'histoire des lignées s'est peu a peu arrêtée. Fut-il le regretter ? Oui, dans une certaine mesure, car elle a excité l'imagination et le génie des obtenteurs gérant d'une famille d'iris, et aussi parce qu'elle a favorisé une sorte de paresse dans la recherche d'une réelle nouveauté, non parce que ce furent les grands maîtres eux-même qui n'ont pas hésité à partager leurs petits secrets et le pollen de leurs fleurs, et que la situation nouvelle, pour n'avoir pas que des avantages, a tout de même permis l'énorme développement de l'hybridation des iris telle que nous la connaissons aujourd'hui.

Illustrations : 

'Sea Shell' 


'Vanity Fair' 

'Pink Enchantment' 

'One Desire'

3 commentaires:

DEJOUX Roland a dit…

L'amélioration d'un modèle ne se limite pas au coloris, elle peut s'attacher au branchement, à la texture des fleurs, à une meilleure fréquence de floraison, à une meilleure acclimatation à un climat etc...Donc deux iris peuvent être très ressemblant par leur 'pattern' et leur coloris mais très différent pour leurs autres qualités.
Le nombre grandissant des hybrideurs et les impératifs commerciaux favorisent bien sûr le phénomène que tu décris.
Barry Blyth me disait que ses voyages printaniers aux USA lui servait aussi à observer les modèles de ses collègues américains pour justement s'en démarquer et garder son originalité.

jibe a dit…

Bonjour Sylvain, je ne suis pas complètement d'accord avec ton article. Pour ce qui concerne la diffusion des nouveaux modèles et leur ré-utilisation, là ok. Mais pour la fin de l'utilisation des lignées par les hybrideurs, là pas d'accord, regarde en détails les obtentions des '' grands'' actuels, TOUS utilisent et suivent "leurs courants de sang", certes ils y "infusent" d' autres variétés mais tous suivent leurs lignées. L'inbreeding pur n'est pas la meilleure voie d'amélioration chez les végétaux, le "linebreeding" si. Jérôme B.

Sylvain Ruaud a dit…

Je voulais dire que les lignées, clairement différentes à l'origine, ses ont mélangées au point qu'on ne peut plus aujourd'hui parler de lignées franchement distinctes. Les hybrideurs actuels ont sans doute des familles différentes mais elles résultent d'un conglomérat des lignées initiales, et ont toutes les mêmes variétés dans leurs gènes.

Merci à vous deux pour ces commentaires.