11.9.20

QUELQUES DAMES DU TEMPS JADIS

Donner à un iris (mais c'est la même chose pour les autres fleurs) le nom d'une personne est soumis à des règles particulières. Il faut en effet joindre à la demande d'enregistrement un consentement signé de la personne dédicataire lorsque celle-ci est vivante. Cela devait être moins formel au cours des années 1920/1930, et les obtenteurs de l'époque ne se privaient pas d'utiliser ce moyen de rendre hommage à quelque notable ou à quelque ami ou connaissance, en particulier en guise de galanterie vis-à-vis d'une dame ! Rien que dans la liste des variétés enregistrées par Ferdinand Cayeux, j'ai relevé 22 noms de variétés dédicacées à une précisément à une dame, et pas loin d'une dizaine de noms ou plutôt de prénoms féminins ! Ses confrères Denis et Millet ont suivi la même politique et plusieurs de leurs variétés portent le nom d'une dame de leur époque ; il s'agit soit de quelques membres de leur famille, soit d'épouses ou filles de notables auxquels, par ce biais, ils veulent rendre hommage. Dans le genre, Vilmorin n'a pas agi de la même façon, peut-être pour se démarquer de ses concurrents !

Un grand nombre de ces variétés se rencontre encore dans les jardins spécialisés et dans les collections de quelques particuliers passionnés des choses du passé.

Mais pour l'inventaire d'aujourd'hui, commençons au tout début de l'hybridation, avec les sélections de Jean-Nicolas Lémon, autrement désigné Lémon fils. Une des toutes premières variétés dédicacées est peut-être 'Julia Grisy', un plicata indigo sur fond blanc bleuté qui est décrit comme suit dans les Annales de la Société Royale d'Horticulture de Paris de 1842 : « Feuillage étroit, fleurs moyennes, pétales extérieurs (1) larges, striés de bleu violacé, largement bordés de blanc ». Pas plus que la personne à qui elle doit son nom cette fleur n'a survécu à l'usure du temps... Ce n'est heureusement pas le cas de 'Madame Chéreau' (1844) qui est l'une des sélections de J. N. Lémon encore présente dans de très nombreux jardins et considérée comme le plus bel élément de ses productions. Le Bulletin du Cercle Général d'Horticulture de 1845 en donne une description savoureuse, bien dans le ton de son époque : « Votre Commission a remarqué dans les semis de M. Lémon des gains charmants ; elle les a examinés avec un soin scrupuleux ; et, désirant en décrire quelques-uns pour vous les faire connaître, elle ne s'est trouvée embarrassée que sur le choix à faire dans une vaste planche dont toutes les variétés étaient remarquables ; forcée néanmoins de se prononcer, elle a opté en faveur de six d'entre elles, auxquelles un numéro d'ordre a été appliqué.

N° 1 : beau fond blanc, bordé de stries bleues ; les pétales extérieurs à peu près de la même couleur, mais les stries ne se prolongeant pas jusqu'au bord ; celui-ci se trouve ainsi garni d'un beau ruban blanc qui donne à cette fleur un riant aspect. Elle est digne d'un patronage distingué, aussi l'avons-nous nommée 'Madame Chéreau '. (...) » Car cette dame Chéreau n'était autre que l'épouse du directeur de la Société Royale d'Horticulture.

Parmi les nombreuses sélections de J.N. Lémon on trouve encore plusieurs variétés au noms de dames, aujourd'hui bien oubliées : par exemple, 'Duchesse de Nemours' (1848), 'Madame 'Rousselon' (1842), 'Amélie Mairet' (1845) ou une autre célébrité, 'Victoire Lemon' (ca 1845), aussi appelée 'Madame Lémon'.

Un peu plus tard, vers 1860 et jusqu'à la fin du siècle, c'est la famille Verdier qui a repris le flambeau de la culture des iris. La coutume de donner à une variété le nom d'une dame est toujours respectée et parmi les dédicaces de la famille Verdier on trouve une curiosité, 'Soeur Supérieure Albert' (???) dont on ne connaît que le nom et une variété qui a survécu jusqu'à nos jours, 'Madame Louesse' (1860).

L'une des premières obtentions de Ferdinand Cayeux s'appelle 'Madame Blanche Pion' (1906) ; c'est un variégata jaune ambré sur pourpre, peut-être disparu. Mais d'autres variétés, un peu plus récentes sont encore régulièrement cultivées, parmi lesquelles (et les moins connues) :

'Jacqueline Guillot' (1924), bleu lavande ;
'Charlotte Millet' (1927), violet ;
'Geneviève Serouge' (1932), bleu pâle, infus de jaune primevère ;
'Madame Ulman' (1936), mauve et violet pourpré ;
'Anne-Marie Berthier' (1939), blanc ;
'Marie-Rose Martin' (1939), jaune centré de mauve pâle ;
et aussi une plante assez mystérieuse, qui n'est connue que par ses rejetons : 'Clémentine Croutel' (ca 1925) (2).

Les confrères de Ferdinand Cayeux ne sont pas restés en arrière sur ce sujet. Les Millet (Armand, Alexandre puis Lionel) ont été actifs dans l'entre-deux-guerres. Ils sont notamment les obtenteurs de :
'Mady Carrière' (1905), deux tons de mauve léger ;
'Yvonne Pelletier' (1916), rose orchidée clair marqué de jaune aux épaules ;
'Simone Vaissière' (1921), neglecta bleu lavande ;
'Madame Cécile Bouscant' (1923), rose orchidée ;
'Germaine Perthuis' (1924), violet pourpré ;
mais leur plus belle réussite est certainement le fameux bleu violacé 'Souvenir de mme Gaudichau' (1914).
Quant à Fernand Denis, disparu en 1935, le bulletin de la SNHF de 1935, dans sa chronique nécrologique dit à son sujet : « Dans une longue suite d'années, il a tenté l'amélioration les iris des jardins en utilisant pour ses hybridations l'I. Ricardi de la Palestine. » Il a donc introduit en France les iris tétraploïdes. Dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui, on lui doit entre autres :

'Mademoiselle Schwartz' (1916), bleu lavande ;
'Madame Chobaut' (1916), plicata rosé ;
'Edith Cavell' (1921), blanc fortement marqué de jaune aux épaules ;
'Andrée Autissier' (1921), bleu ciel.

On pourrait citer encore bien d'autres variétés portant le nom de dames enregistrées au cours de ces années où les iris français avaient la réputation d'être parmi les plus beaux du monde. Si les malheurs de la seconde guerre mondiale ont interrompu leur gloire, ils l'ont peu à peu reconquise à partir des années 1960. Et la tradition de donner des noms de dames s'est perpétuée sans relâchement, et s'est répandue partout dans le monde.

Illustrations : 

'Madame Chéreau' 


'Victoire Lémon' 


'Madame Louesse' 


Dans les semaines à venir, d'autres photos viendront compléter ce florilège.

(1) Sont ainsi désignés les sépales de la fleur. 

(2) Deux descendants de 'Clémentine Croutel' sont avantageusement connus : 'Nêne' (1928) et 'Hélios' (1928).

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