6.11.20

LES OUBLIÉES

Lois Kuntz, Edith Lowry ou Esther Tams, ces noms-là vous disent-ils quelque chose ? Non ? Pourtant ce sont ceux de trois dames américaines dont une variété de grands iris a remporté la Médaille de Dykes ! Le succès qui a porté au pinacle leur iris ne les a pas empêchées de rester dans l'anonymat des amateurs, dont seulement un coup de chance les aura fait un instant sortir. 

 Lois Kuntz 

Lois Kuntz, est une grand-mère américaine, qui aimait les iris et qui, un jour, s'est amusée à semer les graines qu'elle avait récoltées dans son jardin. Elle a obtenu un bon nombre d'iris d'un rose délavé, grisâtre, plutôt laids. La dernière graine à lever n'en finissait pas de fleurir. Quand elle se décida, ce fut la surprise : une jolie fleur aux pétales jaunes et aux sépales blancs liserés du jaune des pétales, avec une substance solide et résistant aux intempéries ; une plante vigoureuse, bien branchue, bref une belle fleur. Mamie Kuntz en parla à des amis, qui répandirent la nouvelle dans le petit monde des iris. Luella Noyd, une obtentrice bien connue, se procura les rhizomes et les multiplia. Elle convainquit Mme Kuntz de faire enregistrer cette variété, et la bonne grand-mère dédia son iris à l'une de ses petites filles, Debby, Debby Rairdon. Convaincue que cet iris était ce que les américains appellent un « winner », Luella Noyd acheta les droits d'exploitation pour la somme dérisoire de 150 dollars, qu'elle paya non pas en argent mais en rhizomes ! Mme Kuntz n'était pas une femme d'affaire ! 

Au fil des années, l'iris jaune, né de parents inconnus, se fraya un chemin parmi les variétés huppées: en 1965, il obtint une HM (Honorable Mention, le premier degré des récompenses américaines) ; en 1968, il fut parmi les 12 variétés honorées d'un AM (Award of Merit), ce qui lui permit de concourir pour la Médaille de Dykes. En 1971, c'est lui qui obtint la suprême récompense. 

 Edith Lowry 

Edith Lowry a vécu toute sa vie en Nouvelle Angleterre, dans le Massachusetts exactement. Elle s'éprit d'amour pour les iris au début des années 1930 et ne tarda pas à se lancer dans l'hybridation. Elle connut vite un certain succès et les amateurs de la région connaissaient bien son jardin où ils venaient chaque année admirer ses dernières obtentions. Il faut dire qu'elle avait la main heureuse et un art consommé dans le choix des bons parents. Parmi ceux-ci on trouve les français 'Jean Cayeux' et 'Madame Louis Aureau', ainsi que les américains 'Great Lakes', Chantilly', et l'incontournable 'Snow Flurry'. Elle n'a jamais enregistré que vingt-quatre variétés, mais au moins une quinzaine a fait carrière dans la course aux honneurs américaine. 'Mount Hermon', sa première variété, est un blanc glacier qui fut remarqué dès son apparition, mais sa spécialité, si l'on peut dire, est le jaune, le jaune clair et crémeux de préférence, comme 'Yellow Diamond' (1948), ce qui ne l'a pas empêchée de triompher en 1957 avec une variété violette, 'Violet Harmony' (1948). Cet iris a reçu toutes les récompenses possibles : HM en 1952, AM en 1954 et Franklin Cook Memorial Cup en 1953. C'est d'autant plus remarquable que cette variété n'a pas été introduite par une grande pépinière assurant une large diffusion, mais par son obtentrice elle-même, sans autre publicité qu'une annonce dans le Bulletin de l'AIS d'avril 1952. 

 Esther Tams 

Esther Tams a disparu à l'âge de 95 ans dans son Utah natal. Comme beucoup de gens de cet Etat elle fut un membre actif de l’Église de Jésus Christ des Saints du Dernier Jour, autrement dit de l'Église Mormone. Avec son diplôme d'économie domestique elle fut enseignante pendant près de 20 ans dans un collège du Nevada. En plus de son intérêt pour la photographie... et les chats, elle s'est passionnée pour l'hybridation des iris. Oh ! A titre d'amateur seulement, car elle n'a en tout et pour tout enregistré que treize variétés nouvelles dont, en fait, trois seulement, descendants toutes les trois du célèbre 'Rippling Waters' (Fay, 1961) eurent une destinée commerciale intéressante. 'Rosilla' (1972), bicolore rose pêche et rose orchidée, également enfant de 'Melodrama', 'Nordic Prince' (1979), de couleur prune, issu de 'Sterling Silver, et surtout 'Dream Lover' (1970) qui a parcouru d'un bout à l'autre l'échelle des honneurs, et à une vitesse rare, pour atteindre la Médaille de Dykes en 1977. Cet élégant amoena blanc bleuté sur bleu pourpré, dont le pedigree est (Miss Indiana X (Melodrama x Rippling Waters) ne se fait pas remarquer par l'audace de son croisement, mais il a tout pour plaire. C'est pourquoi un connaisseur comme Tell Muhlestein, lui-même récipiendaire de la DM en 1959 pour 'Swan Ballet' (1953), l'a inscrit à son catalogue dès 1971, ce qui a permis une diffusion partout dans le monde. Madame Tams s'est ainsi vu propulsée au premier plan. 

Il y a bien longtemps qu'une variété de non-professionnel n'a pas atteint le degré suprême. Depuis 2000 tous les titres ont été attribués à des variétés de véritables « pros ». Cela tient en grande partie à la quasi obligation pour être vu par un maximum de juges de connaître une large distribution. Mais aujourd'hui que les grandes pépinières multiplient les introductions en vue de satisfaire au plus vite l'attirance des clients pour la nouveauté, dispersant de la sorte les votes sur un plus grand nombre de postulants, les variétés moins bien vendues mais présentant toutes les qualités requises ont peut-être de nouveau leur chance. Comme ce fut le cas pour celles des trois oubliées dont on vient de remémorer l'existence. 

Illustrations : 

 


'Debby Rairdon' 

 


'Violet Harmony' 

 


'Dream Lover'

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