4.12.20

UNE FIDÉLITÉ À TOUTE ÉPREUVE

Certaines anecdotes que l'on trouve dans nos livres d'Histoire parlent de personnages infiniment dévoués et fidèles à leur maître. On pouvait penser qu'un attachement aussi solide pouvait effectivement se produire dans les temps anciens mais qu'il n'était plus possible, au XXe ou au XXIe siècle, de rencontrer encore de telles situations. Mais il faut se détromper. Dans le petit monde des iris, de nos jours, des cas de ce genre ont existé et, même, existent encore. En voici trois, qui racontent d'admirables fidélités. 

 Séraphin Mottet 

La vie de Séraphin Mottet, au début du vingtième siècle, fait beaucoup penser à celle du compositeur autrichien Josef Haydn, un siècle plus tôt. Même longue allégeance à un aristocrate éclairé, et même fin de vie, libre et honoré par ses pairs. Haydn était au service du Prince Esterhazy, richissime esthète, Séraphin Mottet travaillait pour Philippe Lévêque de Vilmorin, héritier d'une célèbre famille de grainetiers et pépiniéristes. 

Séraphin Mottet, après des études scientifiques, est entré chez Vilmorin-Andrieux en 1880. La plus grande part de sa vie professionnelle s’est déroulée au sein de cette entreprise majeure à laquelle il est toujours resté fidèle et dévoué. La loyauté est sûrement la qualité majeure de Séraphin Mottet : si la maison Vilmorin, au début du 20eme siècle, a été la référence en matière d’iris, c’est à cet homme qu’elle le doit, mais il n’y a aucune variété qui porte entre parenthèses le nom de Mottet. Pourtant des iris comme ‘Ambassadeur’ (1920) et ‘Alliés’ (1922) sont très certainement l’œuvre de cet homme. C'était un personnage cultivé, parlant parfaitement l’anglais, au point de traduire des ouvrages de botanique ou d’horticulture. Car les iris ne constituaient pas son seul pôle d’intérêt et on lui doit un grand nombre d’ouvrages didactiques sur les rosiers, les pommes de terre, les œillets ou les conifères… Mais c’est cependant aux iris qu’il a consacré la majeure partie de son œuvre, tout en restant dans l'ombre de son employeur. 

Quand Philippe de Vilmorin prend la tête de l'affaire familiale, il est manifestement très intéressé par la culture et l'hybridation des iris. C'est pour cela qu'en 1903, au moment où son confrère Verdier disparaît, il rachète sa collection d'iris botaniques et de cultivars anciens. Cette riche collection, certainement la plus belle de l'époque, est, avec les iris tétraploïdes moyen-orientaux, à la base du travail d'hybridation de la firme Vilmorin-Andrieux qui a consisté à l'assemblage des qualités des grands iris comme 'Amas', malheureusement monochromes, et des teintes chatoyantes des variétés européennes. Mais si tous les iris nouveaux obtenus étaient introduits sous le nom de Vilmorin-Andrieux, il s'agissait du résultat des croisements réalisés par Séraphin Mottet pour le compte de son patron et sélectionnés par l'un et l'autre. Du travail à quatre mains en quelque sorte. 

Parmi les nouveautés mises sur le marché par la maison Vilmorin-Andrieux il y avait quatre iris de grande taille issus des croisements réalisés à partir du fameux 'Amas'. Il s'agissait de 'Tamerlan', 'Isoline', 'Miriam' et 'Loute'. Tous les quatre marquent le début d'une nouvelle ère dans le domaine des grands iris de jardin, une ère qui dure encore aujourd'hui. Séraphin Mottet, toujours dans l'ombre de son maître, et Philippe de Vilmorin ont été de véritables précurseurs auquel tous les amateurs d'iris doivent rendre hommage. Malheureusement Philippe de Vilmorin était décédé en 1917 : Séraphin Mottet quitta sur ces entrefaites la maison où il avait connu tant de succès et ce fut la fin d'une belle histoire. 

Gabrielle Martignier 

De Gaby Martignier on pourrait dire à peu près la même chose que pour Séraphin Mottet. Mais l'histoire, cette fois, se déroule à partir des années 1950. En effet c'est au cours de l'été 1950 que Doreen Bovet, épouse du propriétaire du Château de Vullierens, en Suisse, dans le canton de Vaud, dans les collines sub-jurassiennes situées au-dessus de Lausanne, achète ses premiers iris destinés à agrémenter les parterres du jardin. Au printemps 1951 c'est la première floraison et aussi le début d'une belle histoire qui dure encore aujourd'hui. Cette histoire c'est en fait Gabrielle Martignier qui va l'écrire. Embauchée par la châtelaine pour prendre soin des iris, c’est elle l’âme des jardins. Le site officiel de Vullierens expose parfaitement le rôle de cette enfant du pays : «Voyant les premiers iris plantés, elle apprendra tout de ces fleurs et deviendra l’une des jardinières officielles du Château. Pendant 70 ans, jusqu’à sa retraite en 2003 à l’âge de 84 ans, elle se voue corps et âme au Domaine et prépare, mètre carré par mètre carré, l’éphémère festin de couleurs qui se déploie à la belle saison. Elle joue un rôle essentiel dans le développement des Jardins et la valorisation du Château. Succédant à Doreen comme responsable des Jardins en 1974, elle crée notamment, avec l’aide du docteur Bovet (fils de la fondatrice), des nouvelles variétés d’iris », une douzaine, qui imprimeront une touche originale à la collection du château, laquelle atteindra peu à peu plus de 500 variétés, essentiellement américaines. Cependant, bien que ce soit Gay Martignier qui en soit la créatrice, les variétés enregistrées le seront au nom du docteur Bernard Bovet. C'est, à moindre échelle, la même situation que celle du fameux bras droit de Philippe de Vimorin. 

Suzanne Weber 

Cette fois, cela se passe en Allemagne, dans le petit village Laufen, au pied de la Forêt Noire, au cœur de la jolie région du Markgräferland, pas bien loin de Freiburg im Breisgau, un peu plus au nord, ni de Mulhouse, de l'autre côté du Rhin. Suzanne Weber y a passé plus de 47 ans dans la pépinière de la comtesse von Stein-Zeppelin. C'est un autre exemple de cet incomparable complicité qui lie deux personnes dans une relation de subordination autant que d'amitié. Il est vrai que Helen von Stein-Zeppelin, appelée la "Comtesse aux Iris", avait besoin pour la seconder dans la gestion de sa pépinière d'une jardinière compétente et dévouée. Elle l'a trouvée en la personne de Suzanne Weber. A elles deux elles ont recréé, après la guerre, un jardin d'iris remarquable qui a très rapidement atteint les 1500 variétés disponibles. Suzanne Weber n'a pas pratiqué l'hybridation mais il est indéniable que ses connaissances acquises sur le terrain ont été précieuses à la Comtesse pour le choix des variétés destinées aux croisements qu'elle a réalisés. 

En dehors de son travail au jardin, Suzanne Weber a rédigé un livre précieux :« Iris, les meilleures espèces et variétés pour le jardin », dont l'adaptation française est signée de Luc Bourdillon, et qui en dit long sur l'érudition de son auteure. 

 Il est possible que d'autres cas identiques ou approchants se présentent encore. En tout cas le travail à quatre mais dans le domaine des iris est extrêmement courant, mais il ne va cependant pas jusqu'à cette étrange relation que démontre les exemples ci-dessus. 

Illustrations :

 

 

  'Isoline' (Vilmorin, 1904) 

 


'Mrs Walter Brewster' (Vilmorin, 1921) 

 

 

 'Etoile' (Bovet, NR) 

 


 

 'Mozart' (Zeppelin, NR)

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