23.1.21

GÉOMÉTRIE D'UNE FLEUR

En 2017, dans un article intitulé « Là où tout va par trois », nous avions ici abordé le phénomène qui caractérise l'iris : la disposition par trois de la plupart de ses composants. Nous allons reprendre aujourd'hui cet article et lui apporter quelques compléments. 

Il est en effet remarquable que chez l'iris tout aille par trois. Les plantes qui présentent cette disposition ne sont pas nombreuses. On rencontre plus communément le chiffre 4 ou le chiffre 5, voire un chiffre beaucoup plus grand, mais le 3 est rare et, on peut le dire, le minimum que la nature ait prévu. Chez l'iris il se taille la part du lion. Cette imparité est en soi un élément séduisant et il est exploité au maximum, comme si la nature, ayant découvert ses mérites, en faisait un usage immodéré. 

Commençons par la plante elle-même. Quand elle est en bonne santé et prête à jouer son rôle, elle va développer un bouquet de trois feuilles dont seul l'élément central deviendra la tige florale. Cette tige elle-même portera en général trois branches chargées de boutons floraux (c'est d'ailleurs ce développement auquel tiennent par dessus tout les obtenteurs, pour avoir un iris harmonieux et de longue floraison). Car le plus souvent chacun de ces boutons sera porteur de trois fleurs qui apparaîtront l’une après l’autre, ce qui donnera à la plante une apparence élégante et équilibrée et garantira au moins trois semaines de floraison. 

Pour ce qui est de la fleur proprement dite, quand on en regarde le diagramme, on est frappé non seulement par sa parfaite symétrie, mais aussi par le règne absolu de cet emblématique chiffre 3. A l’extérieur, trois sépales qui l'enserrent dans son ensemble, protégeant les parties sexuelles jusqu’au moment où il est nécessaire de les présenter aux insectes fécondateurs. A l’intérieur, ensuite, trois pétales disposés en sens inverse, c’est à dire que l’ensemble sépales plus pétales constitue un tabernacle bien clos, au cœur duquel apparaissent trois anthères portant le pollen, puis tout à fait au centre, les trois compartiments de l’ovule. On devrait ajouter les trois stigmates pétaloïdes qui constituent un triple pistil et sont destinés à recueillir le pollen, et les trois barbes qui, chez les iris qui en sont dotés, balisent le chemin que les insectes doivent emprunter. 

Passons à l'intimité même de cette fleur. Celle-ci se présente sous la forme de capsules grossièrement ovoïdes où les graines sont empilées en trois colonnes, chacune abritées dans trois loges étanches qui vont se fendre sur les nervures quand les graines seront mûres de façon à les libérer pour qu'elles s'éparpillent aux alentours de la plante-mère. C'est ce phénomène qui fait souvent croire aux jardiniers que leurs iris dégénèrent puisqu'ils voient apparaître à côté ou au sein même de la touffe des fleurs d'un autre modèle ou d'un autre coloris. 

Mais il n’y a pas que cela qui marche par trois chez l’iris. 

Il faut le plus souvent trois ans pour qu’une plante nouvelle issue d’une graine parvienne à la floraison, c'est moins absolu que le diagramme de la fleur, mais c'est une durée avérée. Cette floraison elle-même durera en moyenne trois semaines, le temps que s’ouvrent les différents boutons ; et dans les iris modernes on compte idéalement trois fleurs épanouies en même temps. Enfin chaque fleur aura en moyenne une vie de trois jours : s’ouvrant le plus souvent au petit matin, elle sera disponible pour la visite des insectes dès le lever du soleil. Peu à peu les sacs polliniques des étamines vont mûrir et sécher, puis se fendre et libérer le pollen qui va être transporté sur le dos des abeilles (pour les fleurs les plus petites) ou des gros bombyles (pour celles des grands iris barbus), jusqu’à une autre fleur, où il sera automatiquement déposé sur la lèvre du stigmate lorsque l’insecte porteur passera pour plonger chercher le nectar dans le tréfonds du calice. A la fin des trois journées d’exposition, les sépales vont se flétrir et se redresser : leur rôle est terminé ; en effectuant ce mouvement inverse de celui de l'éclosion, ils vont enserrer de nouveau le reste des parties florales, puis le tout va progressivement se dessécher tandis que les ovules fécondés grossiront et commenceront leur maturation. Trois mois vont s’écouler entre la fécondation et l’ouverture des capsules. Trois mois au cours desquels la plante va se refaire des réserves en pompant dans le sol l'eau et les nutriments et dans l'air, par leurs feuilles, le carbone dont elle a besoin. C'est ainsi que s'amorce son développement futur : de chaque côté du rhizome des bourgeons vont apparaître, grandir, pour donner au printemps suivant de nouvelles plantes qui, ajoutées à celle qui se sera développé à la pointe du rhizome d’origine, constitueront une nouvelle trilogie, quelque fois plus car la géométrie de la fleur est beaucoup plus rigoureuse que le développement des futurs rejetons. 

Il n'empêche que le chiffre 3 est outrageusement présent dans ma géométrie de l'iris. C'est ce qui fait la particularité et aussi la beauté de cette plante. En effet si, d'une manière générale, l'être humain est attiré par la symétrie et le chiffre 2 ainsi que ses multiples, il n'est pas insensible à certains chiffres et nombres impairs, comme le 3, ou le 7. L'iris, en choisissant cette imparité se crée une originalité qui ajoute indéniablement à sa séduction. 

Illustrations : 


une fleur impaire

 

vue zénithale d'une fleur d'iris 


Un iris classique

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