14.1.22

L'ETAT CIVIL DES IRIS

Ce n’est pas évident de donner un nom de baptême à une nouvelle variété. Plusieurs fois Lawrence Ransom, homme scrupuleux et même perfectionniste, m'a fait par de la difficulté qu'il avait à choisir un nom. Il a d'ailleurs été confronté à deux reprises au moins à des situations de conflit à ce sujet. Essayons de faire une nouvelle fois le tour de la question. 

 Les règles qui s'appliquent en la matière sont celles de la Nomenclature Internationale des Plantes Cultivées. Elles ont évolué au cours du temps, à la fois pour éviter des abus et pour ouvrir un peu plus l’éventail des possibilités, car il faut pouvoir donner un nom nouveau alors que des milliers ont déjà été utilisés. Examinons-les une à une et voyons quelles difficultés peuvent apparaître dans leur application. 

1) Les noms de personnes. 
Il existe une quantité de variétés qui portent le nom d’une personne. Certains hybrideurs utilisent abondamment cette possibilité d'autres, comme Barry Blyth, se montrent plus parcimonieux, au prétexte que la personne honorée ressentira une déception lorsque la variété portant son nom sera retirée des catalogues. Quoi qu'il en soit la Nomenclature prévoit que pour pouvoir porter le nom d'une personne il faut soit que celle-ci soit décédée depuis plus de dix ans, soit qu’elle ou ses ayants droit aient donné une autorisation écrite. C'est ce qui se passe lorsque l'acquéreur d'une « Iris Box » choisit le nom d'une personne qu'il entend honorer pour l'une de ses acquisitions. En revanche Lawrence Ransom a du demander à la dédicataire une autorisation pour donner un l’un de ses cultivars le nom de 'Gladys Clarke' (2000). Mais il n’est pas possible à un mineur de donner cette autorisation ; alors on triche un peu. Jean-Claude Jacob a-t-il voulu honorer une de ses proches ? Il a été obligé de baptiser la variété prévue pour cela 'Floriane D.' (2020). Le D, évidemment pour le nom de famille de la jeune personne. 

2) Les titres. 
Il ne serait plus possible aujourd’hui d’enregistrer 'Madame François Debat' (J. Cayeux 1957), mais il n’y a pas eu d’obstacle à ce que le nom de 'Doctor Nolan Henderson' (Hedgecock 2000) soit attribué. Parce que ce ne sont que les titres M. Mme, Melle etc.. qui sont interdits, en quelque langue que ce soit. On constate cependant des entorses à cette règle : ainsi Bernard Laporte a-t-il reçu l'autorisation de baptiser 'Miss Pessemier-Deboudt' l'une de ses variétés de 2006. 

 3) Nombres et symboles 
Les choses se compliquent un peu à ce niveau. En effet les symboles, nombres, signes de ponctuation ou abréviations sont interdits, mais seulement s’ils ne sont pas essentiels pour le sens du nom. Ainsi Richard Cayeux a-t-il eu le droit de donner le nom de 'Trois Mousquetaires' à l’une de ses obtentions de 2004 parce qu’il s’agit pratiquement d’une expression dont les éléments sont inséparables tant ce titre d'un roman est devenu légendaire. De même rien ne s’est opposé à ce que Joyce Meek choisisse 'P.T. Barnum' (1979) car les initiales sont partie intégrante du nom. Mais on entre là dans le domaine de l’interprétation donnée à la règle par le « registrar » de l’AIS et il semble que celui-ci dispose d'une autorité discrétionnaire en la matière 

 4) L’article 
Là encore le dernier mot restera au « registrar » car si un nom commençant par un article (dans n’importe quelle langue) est en principe interdit, il sera tout de même accepté si cet article est « nécessaire » dans la langue en question. 'La Belle Aude' (Ségui 1982) a été retenu, mais ce n’était pas évident. En fait l’opposition que le « registrar » pourrait mettre tient à sa capacité de connaître ce qui, dans la langue considérée, est nécessaire ou non, et il n’est pas forcément polyglotte, surtout lorsque, avec l’extension mondiale de l’iris, les langues les plus variées sont utilisées (aux USA, qui parle le breton, le basque, l’espéranto ou l’ouzbek ?) Des anomalies apparaîtront nécessairement, mais elles ne sont pas graves à ce niveau. 

 5) La langue 
La seule langue interdite est le latin, pour cause de confusion possible avec les noms botaniques. Toutes les autres langues sont admises. Cela peut devenir un vrai casse-tête car on baptise des iris dans des pays chaque année plus nombreux et certains hybrideurs inventent des noms sans aucun lien avec quelque langue ce soit, ce qui, stricto sensu, n'est pas autorisé (mais pas interdit non plus !). Une autre règle précise qu’un nom déjà utilisé dans une autre langue ne peut pas être repris après traduction. Mais comment savoir ce que veut dire tel ou tel nom dans une langue dont le « registrar » n’a aucune connaissance ? Il existe déjà de nombreux doublons en ce domaine. Ainsi Lech Komarnicki n’aurait pas du être autorisé à baptiser un iris 'Biala Noc' (1997) parce qu’en polonais ce nom veut dire « nuit blanche », et que le nom de 'Nuit Blanche' a été accordé à Pierre Anfosso en 1979. Enfin, pas plus qu’un nom identique à la langue près, n’est permise l’infime variation d’un nom déjà donné. Mais cette règle subit ou risque de subir les mêmes entorses que la précédente, pour les mêmes raisons. Il existerait un moyen d’éviter ces malentendus et ces risques de confusion : que le nom proposé soit présenté à l’enregistrement à la fois dans la langue choisie et dans une langue commune, qui ne peut être que l’anglo-américain. Cette suggestion, que j'ai faite à l'AIS, n'a pas encore été retenue, le « registrar » ne vérifiant pas la langue utilisée mais se contentant de compter le nombre de mots et de lettres, ce qui est absurde ! 

 6) Les mots et les lettres 
Justement c'est ce problème qui fait l'objet du présent paragraphe. A présent on peut utiliser quatre mots pour un nom. Dans ces conditions l’appellation 'A Bout de Souffle' (Martin Balland, 2019) est tout à fait acceptable. Ce nom à rallonge respecte également la limite des trente lettres pour un même nom. La règle des quatre mots vient en aide aux langues qui, comme le français, font usage de prépositions et d’articles ; auparavant, par exemple un nom comme 'Princesse Caroline de Monaco', qui comporte 25 lettres, n’aurait pas été admissible. Les langues qui se passent de prépositions et les langues agglutinantes étaient outrageusement avantagées, notamment l’anglais ou son cousin l’américain. 

 7) Les noms d’espèces 
Autre interdiction, les noms qui contiendraient le mot « iris » ou tout autre mot pouvant désigner une espèce végétale, notamment celles du genre « Iris ». C’est aussi pour éviter les confusions avec les noms botaniques. 

 8) L’ego de l’hybrideur 
La règle suivante a été édictée dans le but d’empêcher une appréciation excessive ou mégalomaniaque d'un nom de personne ou d'une qualité de la plante en utilisant la forme progressive (celle qui fait référence au génitif des langues saxonnes, avec un ‘ en fin de mot, suivi d’un s). Dans cet ordre d’idée, le nom de 'Schortman's Garnet Ruffles' (Schortman 1981) me semble en infraction à la règle puisque le nom de l’obtenteur en personne est à la forme progressive. En revanche le nom de 'Pandora's Purple' (Ensminger 81) ne pose pas de problème car la belle Pandore a pu avoir une mauvaise idée et ouvrant sa fameuse boîte, mais elle n’a jamais hybridé le moindre iris ! Dans le même ordre d’idée : pas d’exagération dans les qualités prêtées à la variété dénommée, c'est pourquoi n'aurait pas du être permise la dénomination 'Best and Brightest' (2012) pour un TB jaune de Paul Black. Il est également interdit de choisir comme nom un adjectif, seul, lorsque celui-ci peut être considéré comme désignant une caractéristique de la plante. C'est en s'appuyant sur ce texte que le nom de 'Vanille-Citron' a été refusé à Bénédicte Habert pour la variété dénommée maintenant 'Coeur de Citron' (2021), même si les mots vanille et citron ne sont pas des adjectifs à proprement parler. Enfin notons que les insultes et les grossièretés ne peuvent qu'être rejetées. 

 9) Les noms oubliés 
Des noms déjà donnés peuvent être tombés en désuétude, ou bien la plante baptisée a disparu. Dans le premier cas, le nom reste inutilisable sauf si celui qui veut s’en servir à son tour obtient la permission de celui qui a été le premier utilisateur. C’est contraignant, mais justifié. Dans l’autre cas, pour une reprise d’un nom déjà donné, il faut s’entourer de précautions, en particulier il faut s’assurer auprès du premier dénominateur que l’iris n’a pas été distribué et qu’il n’a pas été utilisé en hybridation pour une variété elle-même enregistrée. Toujours la même précaution pour éviter, cette fois, les erreurs de paternité. Mais plusieurs cas de double (ou triple) utilisation existent, tous dus à des circonstances particulières. 

L'application de ces nombreuses règles laisse beaucoup de place à la discrétion du « registrar ». Cela provoque l'agacement de bien des hybrideurs et de fréquents conflits: la tâche n'est pas simple ! 

 Donner un nom à une nouvelle variété n’est donc pas une affaire facile. Heureusement l’imagination humaine n’a pas de limites et les hybrideurs imaginatifs n’ont pas à se faire de soucis. 

 Illustrations : 


'Miss Pessemier-Deboudt' 


'Biala Noc' 


'A Bout de Souffle' 


'Best and Brightest' 


'Coeur de Citron'

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