21.1.22

RESURRECTION

Souvent les amateurs d'iris se plaignent d'un phénomène qui n'a pas encore reçu une explication irréfutable. Les Américains l'appellent « bloom out ». Avec la concision propre à la langue anglaise c'est dire en deux mots que la plante qui est affectée par le phénomène fleurit puis meurt. Je l'appelle quant à moi le syndrome du poulpe. En effet celui-ci, lorsqu’il a accompli l’effort suprême de donner naissance à une nouvelle génération, épuisé, se laisse tomber au fond d’une crevasse et meurt, c'est en quelque sorte la même » chose chez l'iris. 

 Pour une raison qui est encore mystérieuse, certains rhizomes ne développent aucune nouvelle pousse, après la floraison, et, par conséquent, disparaissent. Un iris qui pousse bien émet trois bouquets de feuilles (tout va par trois chez les iris). Les deux bouquets latéraux, qui ne s’élèvent d’ailleurs pas exactement à la verticale, vont développer des feuilles qui vont être les poumons de la plante et vont accompagner le bouquet central, qui, lui, prend dès le début une position très redressée, et va donner naissance à la tige qui portera les fleurs. Cependant il arrive que les bouquets latéraux n’apparaissent pas. La plante n’émet qu’un bouquet, qui puise sa force essentiellement dans la réserve du rhizome. La tige grandit, mais n’atteint néanmoins pas la hauteur d’une tige normale. Les fleurs viennent à éclore, mais sont plus petites que les fleurs habituelles, quelquefois elles sont un peu fripées… Lorsque la dernière fleur est fanée, on s’aperçoit que la tige se dessèche très vite : elle a consommé toute l’énergie contenue dans le rhizome, et, ne s'alimentant pas, elle dépérit. En écartant la terre autour du rhizome on découvre qu’il n’y a aucune pousse latérale, gage de renouveau. Adieu, mon bel iris… Parfois cependant, à bien y regarder, on aperçoit un œil minuscule ou deux. Dans ce cas tout n’est pas perdu.

 Les spécialistes américains ont émis l’hypothèse que ce développement anormal de la plante serait la conséquence d’un déficit hormonal causé par le fait que, pour se multiplier, les hormones en question auraient besoin d’une obscurité que ne leur donne pas la situation à ras du sol du rhizome. Paradoxe ! Pour mûrir et accumuler des réserves, le rhizome a besoin de chaleur : il la trouve en croissant à fleur de terre, mais ce faisant il empêcherait la synthèse des hormones de reproduction. Dans la plupart des cas, ces hormones sont assez nombreuses et fortes pour assurer néanmoins l’apparition des nouveaux yeux, donc des futures plantes, mais il arriverait que, en quantité insuffisante, les hormones ne puissent accomplir leur travail, d’où le phénomène de « bloom out ». Pour sauver la plante en déficit hormonal, il faut l'obliger à secréter suffisamment d’hormones de reproduction. A ce stade, on en vient à des procédures qui tiennent plus du hasard que de la botanique. Ainsi, certains ont constaté qu’un rhizome entaillé, accidentellement, réagissait à cette blessure en émettant de nombreux yeux, comme si, menacé de mort par l’accident, il se dépêchait de multiplier ses chances de survie. D’où l’idée d’entailler volontairement le rhizome sous la menace du bloom-out pour le contraindre à utiliser ses dernières forces dans la fabrication de petites pousses. Une autre constatation a été qu’un rhizome arraché et laissé à l’air sur un tas de déchets, réagissait à cette situation de mort annoncée en émettant plus de nouvelles pousses qu’un rhizome en situation normale. Certains producteurs vont même jusqu’à préconiser cette pratique violente pour accélérer la multiplication des plantes dont on a hâte de pouvoir la proposer au commerce. Mais un rhizome « bloom-outé » réagit-il de cette façon ? Un troisième remède envisagé, et mis en pratique par certains, est de recouvrir d’une forte couche de terre le rhizome récalcitrant pour susciter l’obscurité propice, dit-on, à la sécrétion des hormones. 

 J’ai essayé les trois méthodes. J’ai donné des coups de canif à des rhizomes sans yeux. La plupart n’ont pas réagi et sont morts, pour de bon. D’autres ont effectivement émis des pousses latérales, mais pas bien fortes et, par conséquent bien trop à la merci d’un hiver un peu rigoureux. J’ai laissé sans soins des rhizomes, à l’air libre. J’ai constaté que des yeux apparaissaient, mais remis en terre, ces yeux n’ont jamais prospéré. J’ai, enfin, enterré certains rhizomes. Et là j’ai eu la satisfaction de voir mes iris repartir. La chose délicate est de trouver le juste moment où il faut retirer la motte de terre pour permettre à la plante de croître normalement après la médication de choc. Néanmoins, cette méthode donne des résultats tangibles. Dès la fin de la floraison, avec une bonne pelletée de terre, j’ai créé une taupinière artificielle au-dessus d'un rhizome en détresse. Je suis allé deux mois après gratter le sol, pour voir : de gros yeux s'étaient développés. Il faudra attendre deux ans pour voir de nouveau fleur la plante malade mais elle aura été sauvée. 

 A la différence donc, de ce qui arrive au malheureux poulpe, la mort de l’iris qui « bloom-oute » n’est pas forcément inéluctable. Il n’empêche que je constate que les variétés récentes sont très sensibles au « bloom-outage ». Peut-être un affaiblissement de leur vigueur régénérative en raison d’une consanguinité excessive ? En tout cas j’ai l’impression, après plusieurs expériences positives, que la méthode de l’enterrement, est assez fructueuse. Mais vous avouerez qu’il y a là un sacré paradoxe : il faut un enterrement bien profond pour que la plante renaisse ! Une sorte de résurrection ! 

 Illustrations : 




 'Jud Paynter' (photo d'une plante bloom-outée) 


'Jud Paynter' (R.E. Nichol, 1991) (plante saine) 


'Prototype' (plante saine ayant bloom-outé l'année suivante) 


'Sullom Voe' ( plante saine ayant bloom-outé l'année suivante) 


'Buckden Pike' ( plante saine ayant bloom-outé l'année suivante)

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