29.1.22

DE LA PEINE A LA FACILITÉ

Ici même, en 2003, il était question des subtilités de l'hybridation et des règles qu'il convient d'appliquer lorsque l'on veut pratiquer l'hybridation avec quelques chances d'obtenir quelque chose de présentable autrement qu'en comptant sur la chance. Presque vingt ans plus tard, les conseils donnés dans cet article sont-ils toujours valables ? 

Les opinions de trois bons auteurs y étaient mises en parallèle : le français Richard Cayeux et les américains Keith Keppel et Dave Niswonger. Tous les trois insistaient sur la nécessité de se limiter dans les buts à rechercher. Il y a le choix parmi les buts possibles et il est recommandé de commencer par sélectionner un ou deux domaines de recherches, en commençant par ceux qui posent le moins de difficultés à celui qui se lance dans l’hybridation. Ces conseils n'ont pas perdu de leur valeur. En effet le plus grand risque est de se disperser. Quand on commence on n'a, en général, à disposition qu'un nombre restreint de géniteurs potentiels. Les hybrideurs chevronnés disposent d'un panel énorme de parents potentiels, d'un espace important pour planter de très nombreux jeunes semis ce qui leur permet le plus souvent de réaliser chaque année un nombre considérable de croisements. Ce n'est pas la situation d'un débutant ! Ce dernier a donc intérêt a commencer par sélectionner un ou deux domaines de recherches, en commençant par ceux qui posent le moins de difficultés. Il y a le choix parmi les buts possibles ! Et le plus simple est certainement la recherche d’une amélioration de l’existant. Par exemple essayer d’ajouter des éléments de perfectionnement à une couleur et à la fleur qui l’exhibe: plus de saturation du coloris, fleurs plus ondulées ou plus frisées, fleurs mieux disposées le long de la tige, boutons plus nombreux, plante mieux ramifiée, qui pousse mieux ou qui résiste mieux aux agressions. Ce n'est que si l'on dispose de beaucoup de place pour les semis, que l'on peut s’attaquer à des domaines plus délicats comme la recherche de nouvelles couleurs ou de nouvelles combinaisons de couleurs. Pourquoi cette distinction ? En quoi les domaines cités en derniers présentent-ils plus de difficultés ? 

 Il est avéré que créer une nouvelle couleur ou une nouvelle combinaison de couleurs est une œuvre de longue haleine, souvent aléatoire, plus exigeante en nombre de semis et nécessitant des connaissances génétiques et généalogiques plus étendues. Il y a en effet trois parties de la fleur sur lesquelles il faut agir : les pétales, les sépales et les barbes. Le travail devra obligatoirement s’étendre sur plusieurs générations, donc sur de nombreuses années, avec beaucoup de résultats médiocres en attendant le succès. 

 De toute façon, si l’on veut aboutir à quelque chose, il ne faut surtout pas croiser les variétés au hasard, en fonction de l’intérêt qu’on leur porte ou de la fantaisie qui passe par la tête. Le hasard peut certes faire qu’on obtienne ainsi un résultat satisfaisant, mais c’est comme jouer à la loterie, il y a beaucoup de joueurs, très peu de gagnants et encore moins de gros lots ! Comme le dit très bien Richard Cayeux, les iris d’aujourd’hui n’ont pas une généalogie simple ( les analyses que je propose souvent ici le démontrent) et les éléments génétiques qu’ils contiennent sont si complexes que les interactions entre les uns et les autres rendent hasardeux les résultats que l’on peut obtenir. Avant tout croisement il est nécessaire, si l’on veut vraiment atteindre un but, d’étudier le pedigree non seulement des variétés auxquelles on songe, mais aussi celui de leurs ancêtres, sur de nombreuses générations. Si l’on veut agir sur un élément, ces analyses demandent déjà un travail de recherche important dans les documents, et si l’on s’attaque à plusieurs éléments, les connaissances exigées vont devenir complexes et n’être à la portée que de celui qui a une connaissance approfondie de la génétique des iris, acquise par un travail de longue haleine. Il y a, à ce sujet, quelques informations de base qu’il faut retenir. Savoir, en tout premier, quelles couleurs ou combinaisons sont récessives ou dominantes ; quels pigments se trouvent dans les cellules ou autour des cellules ; comment et pourquoi ils apparaissent ici ou là ; quel peut être l’effet d’un facteur inhibant… Les connaissances approfondies viendront avec le temps et les soirées d’hiver consacrées à potasser les écrits des bons auteurs et les check-lists de l’AIS. 

 Cela ne veut pas dire que l'hybridation est une science ardue et qu' « il faut pour la comprendre avoir fait des études » comme dit Victor Hugo (Oceano Nox). Dans son livre, « L'iris, une Fleur Royale » Richard Cayeux ne dit rien d’autre. Le chapitre consacré à la création de nouvelles variétés de grands iris de jardin est très clair là- dessus. Il explique les aléas de l’hybridation, donne des conseils utiles (se limiter dans ses objectifs, choisir les bons parents, exercer une sélection rigoureuse des semis), expose les stratégies possibles et conseille sur la méthode qu’il faut choisir. Mais ce livre date des années 1990 et en trente ans, bien des évolutions sont survenues. En particulier tous les professionnels de l'iris ont constaté que la relative rareté des semis dignes d'être conservés s'est peu à peu muée en une certaine difficulté à faire un choix parmi des semis généralement sans défauts. Cela se traduit par un nombre de plus en plus important de nouvelles variétés mises chaque année sur le marché. Et cela encourage les néophytes à se lancer dans l'hybridation, sans être obligés de tenir compte des conseils donnés en des temps moins favorables. Cela veut-il dire qu'il suffit de suivre son inclination pour réussir dans l'hybridation ? A mon avis les règles de bases ne doivent surtout pas être oubliées. Le fait que le travail de sélection soit en quelque sorte facilité n'est qu'un des aspect de l'hybridation, les autres se maintiennent. Le choix d'un programme sérieux, celui des bons parents n'ont pas disparu. Mais savoir que les espoirs que l'on met dans les croisements que l'on réalise peuvent se concrétiser sans trop de déception, et que même dans un jardin relativement petit, il est possible d’obtenir des iris de qualité et de contribuer, modestement, à la progression de nos fleurs favorites.est tout de même assez rassurant. 

 Illustrations : 
 Quelques belles réalisations de néophytes : 


 'Antonio Farao's Piano (Martin Balland, 2014) 


'Beauté de Sologne' (Nicolas Bourdillon, 2020) 


'Gin Tonique' (Christine Cosi, 2018) 


'Toge et Sari' (Bénédicte Habert, 2017) 


'Pavillon Alpha' (Marin Le May, 2018) 


'Innamoramento' (Jérôme Patard, 2019)

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