18.2.22

VOYAGE AUTOUR DE MON JARDIN

Alphonse Karr, (1808/1890), était un ami de Victor Hugo et de tous les personnages importants de la période romantique dans le domaine des arts. Lui-même a écrit un grand nombre d'ouvrages, romanesques ou humoristiques. Mais c'était aussi un éminent botaniste et son livre « Voyage autour de mon jardin » en apporte la preuve. C'est là que j'ai trouvé un truculent portrait de l'amateur de tulipes. Portrait qu'il n'est pas difficile de transformer en portrait de l'amateur d'iris. C'est ce que j'ai fait, dans le but de distraire mes lecteurs. D'abord, le texte d'Alphonse Karr :

 « M. Reault, (…) était avec plusieurs personnes qui venaient voir les tulipes ; il avait une baguette à la main et faisit la démonstration avec une emphase que ne peuvent se représenter que ceux qui ont vu dans cette situation un amateur de tulipes devant ses plantes en fleurs. (…) . M. Réault s'arrêta un moment pour voir qui entrait et quand il eut reconnu un profane, il lui dit bonjour d'un signe de tête, et, sans quitter son sérieux, continua sa démonstration ; il était alors devant une tulipe à fond blanc, panachée de rameaux violets. 

 Messieurs, disait-il, voici 'Vandaël', c'est une perle du genre, elle n'est pas dans toute sa beauté, le mois d'avril a été cruel pour nos plantes, et le mois de mars avait été perfide. … Voici 'Joseph Deschiens', nous ne connaissons rien qui égale cette superbe plante, le fond est blanc et les stries violettes. »

 Mais, interrompit Arnold, est-ce que celle de tout à l'heure et que vous appeliez 'Vandaël', n'était pas aussi blanche et violette ? » M. Réault sourit dédaigneusement, regarda les autres spectateurs, et sans daigner répondre à Arnold, continua : 

« Voici 'Gluck', blanc et violet, magnifique plante de la septième ligne. »

 « Pardon interrompit encore Arnold, mais 'Vandaël' et 'Joseph Deschiens' sont également blancs et violets. 

 Cette fois M. Réault haussa les épaules avec un mouvement d'impatience : un des assistants lui répondit par un signe à peu près semblable, mais qui cependant, avait cette nuance particulière qu'il exhortait M. Réault à prendre en pitié le profane et à avoir de la patience. L'autre resta en arrière avec Arnold, et lui dit à voix basse : 

 « Monsieur n'est pas amateur ?

 Non, Monsieur, pas encore, je n'ai que douze tulipes. 

 Ah ! Ah ! C'est peu, il y en a dix-huit cents toutes différentes. 

 Mais, Monsieur, je n'en ai encore regardé que trois qui m'ont paru tout à fait semblables. 

 Ah ! Monsieur, ces trois plantes se ressemblent comme le jour ressemble à la nuit ; elles n'ont, pour des yeux exercés, aucun rapport entre elles.

 Aucun rapport, ceci me paraît fort, Monsieur. 

C'est vous au contraire, Monsieur, qui ne l'êtes pas sur les tulipes. Toutes trois sont violettes et blanches, c'est vrai, le fond de toutes trois est blanc, et les panachures sont violettes, mais le violet n'est pas le même. 

Ah ! Très bien, Monsieur, je vous remercie. 

 Il n'y a pas de quoi, Monsieur. » 

Tous deux revinrent auprès de Monsieur Réault, il touchait de sa baguette une tulipe blanche et rose. «  

-  'Czartoriski', Messieurs, fleur de cinquième ligne, je vous recommande la blancheur des onglets, et quelle tenue, Messieurs, quelle tenue ! » 

Et en disant ces mots, M. Réault appuyait sa baguette sur la tige verte de la tulipe, et semblait faire les plus grands efforts sans y pouvoir réussir. 

« C'est une tringle, Messieurs, c'est une barre de fer. Monsieur, dit Arnold à celui qui avait eu compassion de lui déjà et lui avait donné une charitable explication, croyez-vous que M. Réault appuie de bien bonne foi sur sa baguette, et est-ce un grand avantage, d'ailleurs que la tige de cette fleur si légère soit une barre de fer comme il le dit. 

 Oui, certes, Monsieur, c'est une condition sans laquelle nous n'admettons pas une tulipe dans nos plates-bandes. 

'Napoléon 1er', disait M Réault devant une tulipe blanche et rose, c'est une plante que je vous recommande. 

Ah, ça, Monsieur, dit Arnold à son amateur complaisant, sans vous je dirais d'étranges choses ; probablement le rose de ces tulipes n'est pas le même rose, mais enfin si j'étais venu ici j'aurais cru voir deux tulipes multipliées chacune neuf cents fois, l'une blanche et violette, l'autre blanche et rose. 

Dame ! Monsieur, quand on ne sait pas. »(...) 

Et maintenant la version « iris ». 

« M. Reault, (…) était avec plusieurs personnes qui venaient voir les tulipes ; il avait une baguette à la main et faisait la démonstration avec une emphase que ne peuvent se représenter que ceux qui ont vu dans cette situation un amateur de tulipes devant ses plantes en fleurs. (…) . M. Réault s'arrêta un moment pour voir qui entrait et quand il eut reconnu un profane, il lui dit bonjour d'un signe de tête, et, sans quitter son sérieux, continua sa démonstration ; il était alors devant un iris à pétales blancs et sépales bleus, marqués de violet sous les barbes. 

 Messieurs, disait-il, voici 'Alizés', c'est une perle du genre, elle n'est pas dans toute sa beauté, le mois d'avril a été cruel pour nos plantes, et le mois de mars avait été perfide. … 

Voici 'Deltaplane', nous ne connaissons rien qui égale cette superbe plante, les pétales sont blancs et les sépales bleus. » 

Mais, interrompit Arnold, est-ce que celle de tout à l'heure et que vous appeliez 'Alizés', n'était pas aussi blanche et bleue? » M. Réault sourit dédaigneusement, regarda les autres spectateurs, et sans daigner répondre à Arnold, continua : « Voici 'Lord Baltimore', blanc et bleu, magnifique exemple d'amoena. » 

« Pardon interrompit encore Arnold, mais 'Alizés' et 'Deltaplane' sont également blancs et bleus. » 

 Cette fois M. Réault haussa les épaules avec un mouvement d'impatience : un des assistants lui répondit par un signe à peu près semblable, mais qui cependant, avait cette nuance particulière qu'il exhortait M. Réault à prendre en pitié le profane et à avoir de la patience. L'autre resta en arrière avec Arnold, et lui dit à voix basse : Monsieur n'est pas amateur ? 

Non, Monsieur, pas encore, je n'ai que douze iris. 

 Ah ! Ah ! C'est peu, il y en a des milliers de variétés toutes différentes. 

 Mais, Monsieur, je n'en ai encore regardé que trois qui m'ont paru tout à fait semblables. 

 Ah ! Monsieur, ces trois plantes se ressemblent comme le jour ressemble à la nuit ; elles n'ont, pour des yeux exercés, aucun rapport entre elles. 

Aucun rapport, ceci me paraît fort, Monsieur. 

C'est vous au contraire, Monsieur, qui ne l'êtes pas sur les iris. Toutes trois sont bleues et blanches, c'est vrai, les pétales de toutes trois sont blancs, et les sépales sont bleus, mais le bleu n'est pas le même. 

Ah ! Très bien, Monsieur, je vous remercie. 

 Il n'y a pas de quoi, Monsieur. » 

Tous deux revinrent auprès de Monsieur Réault, il touchait de sa baguette un iris grenat brodé de blanc.

 «  -  'Montmartre', Messieurs, luminata, je vous recommande la blancheur du cœur, et quelle tenue, Messieurs, quelle tenue ! » 

Et en disant ces mots, M. Réault appuyait sa baguette sur la tige verte de l'iris, et semblait faire les plus grands efforts sans y pouvoir réussir.

« C'est une tringle, Messieurs, c'est une barre de fer. 

Monsieur, dit Arnold à celui qui avait eu compassion de lui déjà et lui avait donné une charitable explication, croyez-vous que M. Réault appuie de bien bonne foi sur sa baguette, et est-ce un grand avantage, d'ailleurs que la tige de cette fleur si légère soit une barre de fer comme il le dit.

 Oui, certes, Monsieur, c'est une condition sans laquelle nous n'admettons pas un iris dans nos plates-bandes. 

'Noces de Diamant', disait M Réault devant un iris aux fleurs cerclées de blanc, c'est une plante que je vous recommande. 

Ah, ça, Monsieur, dit Arnold à son amateur complaisant, sans vous je dirais d'étranges choses ; probablement le blanc qui cerne ces iris n'est pas le même blanc, mais enfin si j'étais venu ici j'aurais cru voir deux iris multipliés chacun neuf cents fois, l'un blanc et bleu, l'autre grenat cerclé de blanc. 

Dame ! Monsieur, quand on ne sait pas. » (...) 

J'ai assisté fréquemment à des scènes de ce genre dans les compétitions ou expositions auxquelles j'ai participé, et j'ai du me comporter comme M. Réault, ce dont je n'ai pas à être fier. Mais Alphonse Karr sait se montrer ironique sans être trop méchant et sa satire réussit à donner une leçon tout en faisant sourire. 

 Illustrations : 
 

'Alizés' (J. Cayeux, 1991) 


'Deltaplane' (R. Cayeux, 1993) 


'Lord Baltimore' (D. C. Nearpass, 1968) 


'Montmartre' (K. Keppel, 2007) 


'Noces de Diamants' (R. Dejoux, 2019)

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