30.9.22

LA FLEUR IDÉALE

La fleur idéale existe-t-elle ? De tous temps chacun a été convaincu de l'avoir obtenue, et chaque fois une fleur idéale, encore plus idéale, a été trouvée. Aussi ce qu'on va dire aujourd'hui sera bientôt remis en question. 

 Depuis que les iris sont sélectionnés, puis hybridés par l'homme, beaucoup de variétés ont été déclarées d'une beauté formelle parfaite. Mais au fil du temps cette notion de perfection a évolué. Elle a suivi la progression de l'hybridation et du goût des amateurs. On a commencé par s'intéresser à la forme des pétales. Et longtemps la perfection s'est située dans la disposition en dôme de ceux-ci. En effet, dans la nature, le rôle des pétales est de protéger des intempéries le cœur de la fleur, le tabernacle où se produit le miracle de la reproduction. Pas question de laisser la pluie, le vent ou le soleil détruire le précieux trésor qui se développe au sein de la fleur et va assurer la pérennisation de l'espèce. Alors la nature a conçu un abri sur lequel les gouttes glissent vers le sol tandis que les rayons d'un soleil trop vif sont arrêtés. La forme en dôme que prennent les pétales est là pour jouer ce rôle protecteur, par leur forme et le fait qu'ils se recouvrent les uns les autres. C'est une forme harmonieuse que les premiers obtenteurs ont peaufiné, parmi les semis en observation ils ont privilégié ceux dont les pétales formaient un dôme efficace et majestueux. Au fil du temps les pétales se sont élargis et arrondis, un peu comme certains parapluies. Cet aspect est devenu un élément pris en compte dans l'appréciation des nouvelles variétés. 

 Dans le même temps les sépales ont également évolué. La nature en a fait des pistes d'atterrissage pour « gros porteurs », en l’occurrence les gros bombyles bleus qui se chargent de la pollinisation. C'est donc un espace plat, disposé de façon à facilité l'opération souhaitée. La forme générale se présente comme une spatule, large à son extrémité extérieure et effilée vers le cœur de la fleur. Le travail des obtenteurs s'est résumé à développer la largeur de la spatule, de façon que les riches couleurs de la fleur soient bien visibles. Au début du XXe siècle l'iris considéré comme le plus esthétique se présentait avec des pétales bien récurvés au-dessus du cœur de la fleur et des sépales élargis de manière à présenter toute la splendeur des couleurs. Un exemple de cet aspect peut être trouvé dans 'Fra Angelico » (Vilmorin, 1926). 


 Avec le développement de la fécondation artificielle, le rôle des insectes a été de plus en plus considéré comme une nuisance puisqu'il fallait prendre des précautions pour éviter que l'action des bombyles n'interfère avec celle de l'hybrideur et ne vienne contrarier celle-ci. On a donc pu penser à donner d'autres formes aux tépales. Des formes considérées comme plus plaisantes et recherchées dans un seul but esthétique. La première modification majeure a été l'apparition, bien involontaire, des ondulations. Celles-ci se sont révélées non seulement élégantes mais aussi conférant une rigidité bien venue aux pièces florales. Cette révolution est venue naturellement avec le célèbre 'Snow Flurry' (C. Rees, 1939) et a été aussitôt exploitée sans retenue, même si, dans les compétitions, elle ne s'est pas imposée immédiatement. En parallèle la forme pendante des sépales n'a plus eu d'utilité et les hybrideurs se sont efforcé de les redresser pour donner un meilleur aspect à l'ensemble de la fleur. Ce redressement étant mécaniquement facilité par le rigidité fournie par les ondulations, mais il exigea du temps avant d'être acquis. Les iris de Ferdinand Cayeux, des années 1920/30 comme 'Drap d'Or', de 1936, remarquable pour d'autres raisons, n'en ont pas bénéficié. En revanche 'Truly Yours, (Fay, 1948), de douze ans son cadet, expose ses ondulations et, d'ailleurs, a reçu la Médaille de Dykes en 1953, en partie sans doute pour cette raison. Cependant ce n'est qu'après la guerre, avec le développement fulgurant de l'hybridation que ces deux progrès ont véritablement été exploités. 




 Les pétales à l'origine, comme on vient de le voir, refermés en dôme, se sont progressivement redressés et ouverts, donnant à la fleur une certaine ressemblance avec une tasse à thé, accentuée par les sépales horizontaux comparés à la soucoupe placée sous la tasse. Il faut un peu d'imagination pour percevoir cette similitude, mais elle existe bel et bien ! Pour parvenir à cette situation il faut des pièces florales épaisses et rigides. Entre la situation de départ et celle d'arrivée, au cours de l'acquisition de cette rigidité indispensable, on a vu les pétales de certaines fleurs prendre un aspect turbiné qui leur permettait de se soutenir les uns les autres en prenant l'aspect des boutons de rose avant leur développement total. Au même moment la position horizontale des sépales a été facilitée par un élargissement progressif de leur base. La nature avait prévu au départ un pédoncule étroit, justement destiné à ce que les sépales s'offrent largement aux pollinisateurs. Les hybrideurs sont parvenus à obtenir que ce pédoncule prenne tout de suite de l'ampleur. De la sorte les sépales se sont en partie superposés ce qui leur a donné de la tenue en même temps que beaucoup d'élégance. Beaucoup des variétés obtenues par Barry Blyth réunissent ces conditions, comme ce 'Gracious Curves (2001). 


 Puis est intervenu un nouvel élément qui a été exploité pour modifier l'apparence des fleurs d'iris. Il s'agit de l'augmentation considérable de l'ampleur des ondulations. Certaines fleurs ont acquis un véritable bouillonné qui a été considéré comme un progrès majeur et apprécié comme tel par beaucoup d'amateurs. Mais comme tout ce qui est excessif on s'est aperçu que ces fleurs très frisées étaient loin d'être parfaites ; en particulier elle avaient du mal à s'épanouir car les replis très denses emmêlés dans le bouton ne parvenaient pas à se séparer! On a donc rapidement fait marche arrière et sélectionné des fleurs dont le volume des ondulations restait compatible avec un développement sans entrave. Un bon exemple serait 'Just Witchery' (Blyth 2011). 


 A l'heure actuelle il semble que l'on soit parvenu à un équilibre satisfaisant, où les différents éléments s'accordent pour offrir des fleurs riches et gracieuses que l'on contemple avec beaucoup de plaisir. L'exemple pourrait être chez 'Treasure Bay' (Thomas Johnson, 2019), un fleur un peu ronde, finement ondulée, bouillonnée sans excès, avec des sépales larges et se recouvrant à la base et une barbe bien présente mais discrète. Beaucoup de fleurs d'aujourd'hui se présente comme cela, ce qui témoigne d'un niveau de progrès élevé généreusement répandu.


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