9.9.05

LA PREMIÈRE RÉVOLUTION

Pendant très longtemps les grands iris qui étaient cultivés et hybridés étaient des iris diploïdes, mais cette caractéristique génétique n’était connue de personne, pour la bonne raison que l’on ignorait l’existence des chromosomes et, a fortiori, celle de leurs assemblages. Dans la nature, et plus particulièrement dans les Balkans ou en Asie Mineure, il existait bien des iris assez semblables à ceux que l’on cultivait en Europe de l’Ouest, mais plus grands et plus robustes. Cependant, à l’usage, les amateurs se sont rendu compte que ces belles plantes n’avaient qu’un choix très limité de coloris (entre le violet et le bleu) et qu’elles supportaient mal les climats frais et humides. D’où l’idée de croiser les anciens, plutôt grêles mais de couleurs très variées, avec les nouveaux, plus forts et plus spectaculaires. Les premières tentatives ne donnèrent pas grand’ chose : presque pas de graines et des plantes, grandes, certes, mais stériles et sans autres qualités remarquables. Ce n’est qu’à la longue, après bien des essais infructueux, que l’on obtint des hybrides à la fois fertiles et beaux. Personne ne savait pourquoi. Oui, un botaniste du nom de Strassburger avait bien, en 1882, observé la présence de chromosomes dans les plantes, mais cette découverte n’avait suscité aucun intérêt. Ce n’est qu’une quarantaine d’années plus tard que les premiers décomptes de chromosomes révélèrent la raison pour laquelle les iris balkaniques, et leurs rares hybrides féconds, étaient plus grands et plus beaux : ils avaient quatre paires de chromosomes au lieu des deux paires qui caractérisaient les iris anciens.

Pour bien expliquer ce phénomène, je n’ai rien trouvé de plus parfait qu’un texte signé de Ben Hager, l’hybrideur bien connu, publié dans la première partie d’un livre de photographies artistiques d’iris, « L’Iris », du néerlandais Josh Westrich. Voici cette explication :
« Tous les organismes vivants, plantes et animaux, se composent de cellules. Toutes les cellules possèdent une structure de base commune et comportent chacune un noyau. Dans une seule de ses entités infinitésimales se regroupent de nombreux chromosomes dont le nombre varie suivant les organismes. Les chromosomes portent une carte génétique qui contrôle le développement et les caractères du nouvel organisme après la fécondation. La cellule-œuf produit de nouvelles cellules en tous points identiques et destinées à former une structure entièrement rajeunie. Au moment où dans la fleur se forment les cellules reproductrices ou gamètes, le nombre de chromosomes est divisé en deux lots égaux mais avec, souvent, un brassage des caractères portés par les chromosomes. Des cellules mâle et femelle du même parent (autofécondation) ou provenant de parents différents, vont donner des cellules-œufs ayant un patrimoine génétique différent et produiront des plantes différentes. (…) »
« La nature préfère la simplicité. Les individus provenant de la fusion de deux lots réduits de chromosomes sont dits diploïdes ; la plupart des organismes sont diploïdes, ou, du moins, l’étaient à l’origine. Mais les accidents arrivent : si, durant la formation des gamètes, les cellules ne réduisent pas correctement le nombre de chromosomes, l’œuf contient quatre jeux de chromosomes au lieu de deux. De telles cellules sont dites tétraploïdes ; du fait de l’accident auquel elles sont dues, elles possèdent tout en double. (…) En augmentant de deux à quatre le nombre de chromosomes dans une cellule, on porte à plusieurs millions le nombre de combinaisons possibles de gènes. Non seulement on accroît les dimensions ou la robustesse de la plante ou de la fleur, mais l’on multiplie encore de façon inimaginable, les possibilités de combinaisons de couleurs et de motifs…. » Or les iris grands et beaux étaient tétraploïdes, sans doute à la suite d’un accident génétique comme décrit ci-dessus.

Pourquoi les premiers croisements entre les « nouveaux » iris orientaux et les « anciens », originaires de nos contrées, ne donnèrent-ils que des plantes décevantes ? C’est que l’on avait mélangé des plantes tétraploïdes, les « nouveaux », avec des plantes diploïdes, les « anciens ». D’où l’obtention de plantes triploïdes (un lot de chromosomes du parent diploïde et deux lots de chromosomes du parent tétraploïde), qui sont presque toujours stériles. Et si des croisements plus tardifs se sont révélés superbes et fertiles c’est qu’ils étaient, toujours accidentellement, tétraploïdes, par le fait d’un gamète non réduit chez un parent diploïde.

Cet accident s’est en fait produit un assez grand nombre de fois pour que les hybrideurs du début du XXeme siècle créent, sans mesurer la portée de leurs efforts, une nouvelle race d’iris, celle que nous connaissons actuellement et qui continue à être développée par les hybrideurs. Ce fut la première révolution dans le monde des iris, un monde qui en a connu plusieurs autres, pour notre plus grand bonheur.

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