14.11.20

LA GUERRE DES DEUX ROSES

La guerre de cent ans à peine terminée, c'est une autre guerre qui commence en Grande-Bretagne. On l'appelle la guerre des deux roses. Elle oppose deux branches de la famille royale : les York, dont l'emblème est une rose rouge, et les Lancastre qui portent une rose blanche. Elle se termine par la mort du roi usurpateur Richard III et l'avénement de Henri VII de la dynastie des Tudor, lequel choisit, pour marquer la réconciliation des deux familles, de réunir les deux roses dans son emblème héraldique. Cela aurait pu donner naissance à une rose ...rose, mais ce ne fut pas le cas et la couleur rose n'a jamais fait partie des couleurs héraldiques. Alors qu'en matière d'iris, celle qui nous intéresse ici, le rose existe bel et bien, et, même, on peut dire qu'il en existe deux ! Car la langue anglaise, plus riche que la nôtre, distingue entre le rose orchidée, qu'elle appelle « pink » et le rose saumoné qu'elle nomme « rose ». Voilà pourquoi, dans les descriptions d'iris accompagnant les enregistrements de fleurs nouvelles, on trouve de iris « rose » et des iris « pink ». Et à défaut d'une véritable guerre il y a bien une rivalité entre ces deux roses. 

Le rose « rose» est le premier qui soit apparu chez les iris. On attribue la paternité du premier iris d’un rose presque parfait à Philip A. Loomis, cardiologue et éminent obtenteur du Colorado. Cette avant-garde s’est appelée 'Sea Shell' et a été obtenue au début des années 20 (mais enregistré seulement vingt ans plus tard, en 1940). Il est à l'origine d'une lignée dont l'un des meilleurs éléments est 'Pink Formal' (T. Muhlestein, 1947), dont on retrouve la trace chez un grand nombre d'iris roses. P. A. Loomis, sur sa lancée, enregistra en 1929 un autre rose, 'Spindrift', qui fut le premier à avoir un véritable succès commercial, peut-être du en partie au fait que, présenté à la Foire de Chicago en 1933, il déchaîna les critiques des experts de l’époque qui prétendirent que le rose n’était pas une couleur naturelle et que Loomis avait du tricher et utiliser un colorant pour teinter son iris ! 'Isabellina', autre rose, obtenu en 1934 par un autre obtenteur, Sidney B. Mitchell, de Californie, eut un destin particulier en ce sens que du fait de son manque de substance il ne fut pas enregistré tout de suite mais seulement bien des années plus tard, ce qui ne l’empêcha pas d’être abondamment utilisé par ceux qui voulaient à leur tour obtenir des iris roses. A noter que cet 'Isabellina' est un frère de semis d’un autre jalon de l’iridophilie, le jaune 'Happy Days', premier tétraploïde jaune. Ce qui signifie, comme cela a d'ailleurs été confirmé, que ces iris roses dérivent de variétés jaunes et descendent de l'espèce I. variegata indirectement croisée avec les grands tétraploïdes d'Asie Mineure. La lignée d''Isabellina' a été prolongée au cours des vingt années suivantes et a donné naissance à 'Paradise Pink' (Lapham, 1949) puis à 'Chinese Coral' (Fay, 1960) et une floppée d'autres iris roses. 

Le rose « pink », lui, n'est apparu qu'à partir des années 1940. c'est 'Melitza' (E.Nesmith1940), considéré comme rose, mais en fait plus ivoire que rose, qui eut un rôle important en hybridation, tant chez les véritables roses que chez les iris beige ou chartreuse. A la même époque, ce sont les frères Sass qui ont présenté le rose le plus vif, baptisé 'Flora Zenor' (1942) et est décrit comme « un iris qui appartient sans hésitation à le famille des iris roses. Sa couleur est un rose coquillage avec une très grosse barbe mandarine. » Ce qui compte, chez ces deux variétés c'est la barbe mandarine vif, car c'est là que se situe le carotène (pigment soluble dans l'huile), qu'un certain « facteur 't' » aussi appelé « facteur mandarine »(1), va transformer en lycopène, responsable de la coloration rose. Le rose de 'Flora Zenor' sera bientôt dépassé par celui de 'Pink Cameo' (Fay 1944) encore plus rose, et de forme impeccable. L’un et l’autre font partie de la base des iris roses d’aujourd’hui, et parmi leurs descendants on trouve des pointures comme 'Mary Randall' (Fay, 1950) qui à lui seul compte plus de 300 descendants toutes couleurs et modèles confondus. 'Pink Cameo' et 'Mary Randall' ont donné naissance à 'Fleeta' (Fay, 1952), un iris blanc à barbe rouge (le lycopène!), qui est à l'origine de 'Esther Fay' (Fay, 1960) et de beaucoup d'autres iris roses. 

Chez les iris, la guerre des deux roses c'est résumée à la compétition entre les lignées Loomis/Mitchell et Sass/Fay. Mais rapidement, et comme c'était prévisible, les deux lignées ont été réunies. Et si l'on peut dire que les iris roses obtenus par Tell Muhlestein, dans les années 1940/50, comme 'Pink Formal' (1947) sont de la famille Loomis/Mitchell, et que les roses de Rudolph, des années 1950/60 -'Pink Ice', 'Pink Taffeta', Pink Sleigh'-, proviennent de la famille Sass/Fay, les variétés postérieures rassemblent les caractéristiques des deux origines. C'est le cas de fameux iris roses obtenus par Joë Gatty, de 'Playgirl' (1975) à 'Coming Up Roses' (1991), comme ceux de Vernon Wood, dont 'Pink Belle' (1983) est le parfait exemple de la fusion des deux lignées. Chez nous, les roses de Richard Cayeux appartiennent plutôt à la famille des roses de Gatty. C'est ainsi le cas de 'La Vie en Rose' (1999) et de ses descendants 'Rose de la Vallée' (2009) et 'Subtilité' (2013). Mais on peut dire la même chose de 'Buisson de Rose' (1997) comme de 'Succès Fou' (2000). Quant à 'Starlette Rose' (1995), il rassemble tout à fait les deux grandes lignées. 

La vivacité du coloris rose a été un autre défi entre les hybrideurs. On vient de voir que 'Flora Zenor' et 'Pink Cameo' avaient débuté cette bataille, mais d'autres compétiteurs s'y sont mis et ont été encore plus chanceux. C'est le cas de George Shoop et de son 'One Desire' (1960) et de Chet Tompkins avec 'Ovation' (1969). Le premier, d'un joli rose parfaitement uni, est nettement de la famille Loomis/Mitchell, quant au second, issu de 'Mary Randall', il est à rattacher à la lignée Sass/Fay, et, comme de juste, c'est lui qui reste encore aujourd'hui le rose le plus profond, même si une variété moderne comme 'Happenstance' (K. Keppel, 2000) et ses origines Gatty n'est pas loin de l'égaler. 

Entre les variétés d'iris, la guerre de deux roses n'a pas eu vraiment lieu. Il est préférable de parler d'émulation et de désir de progresser. Les résultats sont là pour démontrer que cette sorte de compétition n'a eu que de belles réussites. 

Illustrations : 


'Sea Shell' 


'Flora Zenor' 


'Pink Belle' 


'Ovation' 


'Playgirl' 

 

'Happenstance' 

 

(1) les connaissances en matère de génétique des iris sont encore rudimentaires et ce « facteur 't' » conserve encore tout son mystère.

1 commentaire:

Nathalie Kacza a dit…

Merci Sylvain Ruault pour vos articles et toutes ces informations. C'est un plaisir de vous lire
Nathalie Kacza