21.1.23

LE PLUS GRAND ? (II)

Après avoir qualifié Keith Keppel de «  plus grand hybrideur de tous les temps » j'ai eu quelque remords. Ce propos n'est-il pas un peu excessif ? J'ai pensé en effet à certains autres qui auraient pu mériter ce qualificatif, ou, tout au moins, quelque chose d'approchant. Et en particulier à Joseph Ghio, exact contemporain de Keppel et ami de celui-ci. Or, sur ces entrefaites, Christine Cosi, cette remarquable collectionneuse d'iris, a publié sur Internet une série de photos de variétés signées Joë Ghio. Je me suis alors demandé quel niveau de reconnaissance devrais-je avoir pour cet grand maître du monde des iris. 

 Iris Encyclopedia dresse un rapide portrait de Joë Ghio, dont voici la traduction : « Il est né à Santa Cruz (Californie) en 1938, son père était pêcheur tandis que sa mère était issue du milieu agricole. En 1953, Ghio, alors adolescent, est tombé sur un exemplaire d'un catalogue présentant les 10 meilleurs iris de l'année et a été immédiatement fasciné par les couleurs, ainsi qu'il l'a déclaré. Il a commandé une collection de 5 dollars de rhizomes. Après avoir étudié l'hybridation, Ghio a commencé à créer ses propres plantes en 1954, et il n'a jamais arrêté, même en poursuivant d'autres activités exigeantes. Avec un diplôme en éducation commerciale, Ghio a déménagé à Hayward en 1960, où il a accepté un poste de professeur de commerce et d'histoire au lycée. En 1967, il est retourné à Santa Cruz et a accepté un poste d'enseignant à la Harbour High School. Au milieu des années 1970, il est entré en politique locale. Il a été maire de Santa Cruz en 1975, 1977 et 1980. Il a également siégé au conseil municipal pendant trois mandats. Mais c'est l'iris qui a toujours captivé son imagination. En 1980, il a reçu la Dykes Medal pour 'Mystique'. Il a déclaré qu'il désirait remporter de nouveau cette médaille mais elle lui échappe jusqu'à présent. » 

Voilà la différence ! Les iris de Joë Ghio n'obtiennent que très peu de reconnaissance de la part des juges américains. Pourquoi ? Seuls les spécialistes de la question peuvent donner une réponse certaine. A notre niveau, on ne peut faire que des conjectures. Dans la littérature irisarienne on note cependant des commentaires qui révèlent que les iris signés Ghio sont fragiles et souvent capricieux. Est-ce là la raison du désamour des juges à leur égard ? 

De point de vue strictement horticole chacune des créations de Ghio est un chef d’œuvre. Une parfaite connaissance de la génétique et un sens inné de la perfection aboutissent à un iris que l'on ne peut qu'admirer. Déjà dès son apparition 'Mystique' avait stupéfait les amateurs. Il y a des milliers d'iris bleus excellents, mais le bleu de 'Mystique' était exceptionnel et a été reconnu comme tel par les juges qui lui ont attribué la Dykes Medal. Mais depuis, malgré près de 400 variétés de grands iris enregistrées, plus aucune distinction suprême. Les plus belles récompenses obtenues sont allées à 'Starring' (1999) qui a reçu la Wister Medal en 2007 et est monté sur le podium de la DM, à la troisième place, en 2008. Ensuite 'Magical' (2007) a obtenu une Wister Medal en 2014. C'est tout. 

Il faut dire néanmoins que la grande maîtrise de Joë Ghio a été parfaitement reconnue dans la catégorie des PCN (Pacific Coast Native) où il règne absolument. Depuis 1979 il a reçu 29 fois la plus haute distinction, la Sydney B. Mitchell Medal ! C'est formidable, même si la concurrence est moins relevée que dans le domaine des grands iris (TB). Il faut dire aussi que chez les iris de bordure (BB) trois de ses variétés ont été honorées de la Knowlton Medal, la plus haute distinction de cette catégorie : 'Junior Prom' (1966) en 1994, puis 'Niche' (2006) en 2015 et 'Boy Genius' (2011) en 2022. Ce sont de belles consolations. 

Quand il aura vaincu le signe indien qui l'écarte depuis tant d'années des plus hautes distinctions chez les TB, Joë Ghio devrait s'imposer tout comme l'a fait son ami Keppel. Deux sortes de TB pourraient lui valoir ce retour en grâce : les iris blancs et les iris « rouges », deux couleurs dont il est un maître, mais le temps joue en sa défaveur. 

Dès le début de sa carrière Joë Ghio a proposé des iris blancs.'Nina's Delight' (1962) en est la preuve. Cela a continué jusqu'à nos jours et l'on peut citer 'Bridal Shower' (1965) puis 'Wedding Vows' (1970). La série a repris avec 'Bubbles Galore' (2001) suivi quelques années plus tard par 'Forever Blowing Bubbles'(2006) et 'My Beloved' (2008). Au cours des années 2010 il y a eu 'Civility' (2012) et 'Heavenly Host' (2013). Enfin tout récemment ce fut le tour de 'Christmas Spirit' (2021). En comparant les photos de ces variétés on constate l'évolution de l'apparence de ces iris. Cela suit ce qui se passe chez tous les obtenteurs et la comparaison entre le premier et le dernier de la liste est édifiante. 




On pourrait faire le même constat chez les iris roses, une autre spécialité de Joë Ghio, mais j'ai préféré me tourner vers les somptueux iris brun-rouge ou pourpre-rouge qu'il affectionne particulièrement. 

Il en a proposé à peu près une nouvelle variété chaque année depuis 'Lady Friend' (1980). Et surtout à partir de 1993 où est apparu 'Battle Royal' au grenat profond et à la forme séduisante mais qui n'a pas dépassé le niveau HM dans la course aux honneurs. ‘Rogue’ (1994), plus clair, n'a pas eu plus de succès auprès des juges. Pas plus que ‘Star Quality’ (1995), plus violacé. 'Vizier' (1997) a eu plus de chance puisqu'il aura un AM en 2003. Ces variétés sont superbes à tous points de vue, et à partir de ‘Ritual’ (1998) on atteint une sorte de perfection. En témoignent 'Regimen’ (1999), ‘Ransom Note’ (2000) et son frère de semis ‘Cover Page’ (2001). 'House Afire’ (2002) et ‘Infrared’ (2002) sont là pour apporter la preuve que les années ne freinent ni l'énergie, ni l'habileté de Joë Ghio. 'Trial by Fire' (2005) et son frère de semis 'Red Skies' (2006), descendants de 'House Afire', continuent la série, de même que 'Iconic' (2009). Le classement de ces variétés dans la course aux honneurs, somme toute assez décevant, ne tient sans doute pas compte de l'apparence de ces fleurs mais plutôt de leurs qualités végétatives, connues pour être délicates. Ces plantes largement consanguines, sont fragiles et poussent souvent difficilement ailleurs qu’en Californie. Elles permettent cependant de découvrir que Joë Ghio, en grand maître des iris, sait merveilleusement jouer avec les couleurs pour obtenir ce qu’il veut. 





Finalement, qu'est-ce qui différencie Keith Keppel et Joseph Ghio ? Ce n'est certainement pas le talent d'hybrideur, pas davantage la qualité intrinsèque des plantes produites. Il faut sans doute chercher cette différence dans la réputation du premier à fournir des iris solides, fidèles et résistants, alors que les iris du second déçoivent souvent leur possesseurs par leur fragilité et leurs caprices. Cela, les juges en ont acquis la conviction par tout ce qu'ils entendent dire par les amateurs. Ils en tiennent compte dans leur notation, et là où une variété signée Keppel obtiendra une récompense majeure, une variété Ghio stagnera au mieux au niveau des Awards of Merit.





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