28.1.23

QUAND PASSENT LES COULEURS

Régulièrement j'entends des gens se plaindre de ce que leurs iris dégénéreraient. C’est même une opinion franchement encrée chez certains qui voient peu à peu disparaître les belles couleurs des variétés qu’ils ont plantées dans leur jardin. A chaque fois que la question m'est posée, j'explique que cette dégénérescence n’est pas possible. Mais je ne suis jamais sûr d'être compris ! Une nouvelle fois, je vais expliquer pourquoi la dégénérescence des iris n'existe pas. 

 L’iris se reproduit par graines, mais se multiplie par prolifération à partir d’un rhizome. À l’extrémité du rhizome, et sur les côtés de celui-ci se développent des yeux qui vont donner naissance à de nouvelles pousses exactement identiques à la plante-mère car les cellules de chaque œil contiennent tous les gènes de la plante. Tous les spécialistes des iris sont d’accord là-dessus et ils expliquent la soi-disant dégénérescence par différents incidents de culture. 

 Dans un court article publié dans la revue Iris et Bulbeuses (N°113 – Été 1994), Jean Cayeux, qui, mieux que personne connaissait les iris, trouvait trois raisons possibles de la disparition progressive des coloris d’origine. Il commençait par faire le point sur les doléances le plus souvent formulées. : 

- L’uniformisation des couleurs. 
 Les plaignants constatent que dans une bordure composée à l’origine de variétés de différents coloris, au bout de quelques années n’apparaissent plus que deux ou trois couleurs ; - Le « retour » à un coloris bleu uniforme. 
- Autre déception : dans des fleurs qui ont perdu également leurs belles ondulations et la fermeté de leurs tépales, les fleurs nouvelles sont d'un bleu, moyen, anonyme ; 
- L’apparition de nouveaux coloris. Des fleurs d'un coloris le plus souvent terne ou délavé remplacent les brillants coloris initiaux. 
Ces constatations aboutissent en général à affirmer qu'il s'agit de signes évidents de dégénérescence. 

 Jean Cayeux s'est attaché à démontrer que les causes de ces anomalies avaient une toute autre origine. Dans le premier cas il disait que l’uniformisation des couleurs s’expliquait par les différences de prolificité et de rusticité des variétés. Si une plante se développe plus vite et plus fort que sa voisine, elle va peu à peu étouffer celle-ci ou la priver de nutriments, de sorte que la plus faible va cesser de fleurir, voire disparaître. Dans le fouillis d’une plantation ancienne, ou trop serrée, on ne saura plus distinguer les pousses de la plante robuste de celles de la plante chétive, et l’impression d’uniformisation sera bien réelle : malheur aux faibles ! 

 La seconde doléance appelait de sa part le commentaire suivant : si le bleu gagne du terrain ce n’est pas non plus une illusion. C’est le fait de la réapparition, dans la bordure, d’anciens iris diploïdes (germanica ou pallida), dont quelques morceaux de rhizomes seraient restés en place, et, compte tenu de leur prolificité, auraient étouffé les autres iris. 

 Pour le troisième cas, l’apparition de nouveaux coloris, plus pâles que les coloris d’origine, n’est pas à proprement parler dégénératif, c’est le produit de semis « sauvages ». Si par malheur ont laisse venir à maturité une capsule issue d’une insémination naturelle, les graines vont tomber au sol et certaines vont germer. Jamais on n’obtiendra par ce moyen des fleurs identiques à leurs parents, mais le plus souvent des rejetons plus ou moins bien formés et pâlichons qui laisseront croire qu’il y a eu dégénérescence. Et, en quelque sorte, c’en est une : pour conserver à des hybrides comme les iris modernes leurs coloris initiaux, il ne faut pas les laisser se reproduire ; seule la multiplication rhizomateuse garantit la réapparition des qualités de la plante d’origine. Ses enfants sont, comme ceux des humains, tous différents de leurs parents, et c’est la banalité qui l’emporte. 

 Autre démenti : Certains prétendent que ce serait une « sécrétion » des racines qui aboutirait à faire dégénérer les iris lorsqu’ils sont plantés trop serrés, mais ceci est de la plus haute fantaisie. S’il y a effectivement production d’enzymes, ceux-ci n’ont nullement le pouvoir d’apporter une modification génétique. En revanche ils ont celui d’inhiber la pousse de nouveaux iris plantés à l’emplacement de variétés retirées. Si l’on veut remettre des iris dans une plate-bande où il y en a déjà eu, il faut attendre quelques années, le temps que les enzymes laissés dans le sol se dissipent. Sinon les plantes mises en place végéteront longtemps avant de se développer normalement. Une autre solution, radicale, est de substituer à le terre fatiguée un apport de terre n'ayant pas porté d'iris depuis longtemps ! 

 Alors répétons que les iris ne dégénèrent pas. Leur multiplication végétative leur garantit une existence qui, dans les meilleures conditions, est équivalente à l'éternité ! On trouve toujours des hybrides apparus lors des débuts de la culture horticole des iris, il y a 180 ans... C'est le cas de 'Jacquesania' 'Jacques (1840) ou de 'Madame Chéreau' qui a été enregistré en 1844. Certes, beaucoup des variétés très anciennes ont disparu, mais ce n'est pas le fait d'un affaiblissement de leurs caractères, mais des aléas de leur culture ou de l'abandon de celle-ci par les jardiniers parce que des variétés plus modernes leur ont été préférées. Par ailleurs certaines variétés n'ont pas eu de chance, comme le très joli 'Callela' (Muska, 1990) qui a été détruit dans le jardin même de son obtenteur, quelques années après son apparition. Autre incident qui peut être fatal : le « blooming out ». Joë Ghio m'a annoncé lui-même que son 'Cutting Edge' (1993) avait subi ce triste sort dans sa propre pépinière... Dans ce cas la mort de la variété n'est pas certaine puisque des pousses plantées dans d'autres jardins peuvent exister, heureusement ! D'autres phénomènes naturels peuvent amener la disparition d'une variété. Ce sont là des mésaventures naturelles. Mais qu'il ne faut pas mettre sur le compte d'une dégénérescence...






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